DeuxiĂšme round devant la justice californienne pour Apple et Epic Games, qui se bagarrent toujours autour de Fortnite sur l'App Store. Au terme du premier opus de cette saga judiciaire, la juge Yvonne Gonzalez Rogers avait confortĂ© Apple dans sa dĂ©cision de retirer le battle royale de sa boutique, tout en l'empĂȘchant de bloquer l'Unreal Engine, moteur indispensable pour bon nombre de jeux (lire : Fortnite toujours privĂ© d'App Store, mais pas de blocage possible de l'Unreal Engine).

L'audience d'aujourd'hui procĂšde d'une demande d'injonction d'Epic contre Apple, l'Ă©diteur souhaitant forcer le constructeur Ă rĂ©intĂ©grer Fortnite dans l'App Store (lire : Fortnite a perdu 60% de ses joueurs iOS). La Pomme n'a jamais fermĂ© la porte au retour du jeu dans sa boutique, pour peu qu'Epic en respecte les rĂšgles, tout particuliĂšrement celles qui concernent les achats intĂ©grĂ©s. Or, c'est exactement ce que veut Ă©viter l'Ă©diteurâŠ
Une partie du débat du jour a porté sur la réalité du marché iOS pour Epic. Le représentant de l'éditeur durant l'audience a affiné la proportion d'utilisateurs qui jouent (jouaient ?) à Fortnite uniquement depuis un appareil mobile d'Apple : ils seraient maintenant 63%, ce qui représente 71 millions de joueurs qui accÚdent ou ont accédé au jeu uniquement via iOS. Et il n'existerait aucun autre moyen d'atteindre ces utilisateurs. La disparition du jeu de l'App Store a donc un impact sérieux, Epic ayant « perdu » ces utilisateurs.
Mais ces chiffres ont Ă©tĂ© contestĂ©s par les avocats d'Apple, qui ont estimĂ© qu'il pouvait s'agir de personnes ayant tout simplement perdu l'intĂ©rĂȘt de jouer Ă Fortnite. Le constructeur oppose un autre pourcentage : moins de 10% des joueurs quotidiens accĂšdent au jeu via un appareil iOS. De facto, les consommateurs ont donc le choix de la plateforme quand ils veulent jouer Ă Fortnite puisque 90% d'entre eux s'y adonnent avec un autre appareil. La juge a estimĂ© de son cĂŽtĂ© que les « jardins fermĂ©s » ont toujours existĂ©, que ce soit chez Microsoft, Sony ou Nintendo. Une maniĂšre de renvoyer Epic dans ses buts.
Epic est toutefois revenu à la charge avec son argument « historique » qui lui permet de faire le distinguo entre les consoliers et Apple : d'un cÎté, des consoles vendues à perte, de l'autre des smartphones sur lesquels le constructeur engrange des marges dodues. « Les 30% [demandés par les constructeurs de consoles] sont trÚs différents des 30% d'Apple ».
Cette commission prélevée par Apple a été l'occasion d'une passe d'armes entre la juge et l'avocat d'Epic. La premiÚre a énuméré le nombre de plateformes de distribution, aussi bien en ligne que physiques, qui pratiquent ce niveau de commission : Apple bien sûr, mais aussi⊠à peu prÚs l'ensemble de l'industrie ! Pour la juge, il n'existe aucune preuve de ce qu'avance l'éditeur, à savoir que la ponction d'Apple est trop élevée.
Epic cherche à séparer l'App Store du systÚme d'achats intégrés d'Apple. Si l'éditeur y parvenait, il lui serait plus facile d'arracher la possibilité d'insérer son propre systÚme de paiement. Mais pour Apple, les achats intégrés ne sont qu'une fonction de l'App Store qui « administre la collecte d'une commission. Elle n'a jamais été marketée ou proposée séparément ». En ce sens, ce n'est pas du tout comme PayPal ou Stripe. La juge s'est rangée à cet argument, qui ne voit pas les achats intégrés comme un produit « séparé et distinct » de la boutique.
L'avocat d'Epic appuie sa démonstration en prenant l'exemple d'Uber pour lequel il n'y a pas d'achats intégrés donnant droit à une commission. On paie simplement avec sa carte bancaire. « C'est comme un achat intégré, exception faite qu'Uber n'a pas à utiliser les services d'Apple. Pourquoi ? ». Apple ne prélÚve sa commission que sur les services virtuels utilisables sur ses appareils (comme l'argent virtuel dans les jeux), pas sur les services physiques de type livraison de courses et de repas, achats de biens comme chez Amazon, etc.

Pendant la brĂšve pĂ©riode durant laquelle il a Ă©tĂ© possible d'acheter des V-Bucks dans Fortnite avec d'autres systĂšmes de facturation que celui d'Apple, la moitiĂ© des joueurs ont choisi le paiement direct par carte de crĂ©dit, prĂ©cise Epic (il faut rappeler que les V-Bucks Ă©taient vendus moins chers si on les achetait par le biais des systĂšmes proposĂ©s par l'Ă©diteurâŠ). Selon Epic, il existe donc bien une demande pour des mĂ©canismes de paiement alternatifs.
Ce à quoi la représentante d'Apple a répliqué d'une part que les joueurs préféraient toujours payer 7 $ plutÎt que 10 $, et que 50% du total des utilisateurs ont préféré continuer à utiliser les achats intégrés de l'App Store, « parce qu'ils ont confiance en Apple pour les protéger et pour protéger leur confidentialité ». La brÚche d'Epic dans les conditions d'utilisation de l'App Store reste en travers de la gorge de la juge Yvonne Gonzalez Rogers :
Vous n'avez pas Ă©tĂ© francs. Vous ne l'Ă©tiez pas. [Apple] vous a dit de ne pas le faire, et vous l'avez fait (âŠ) Il y a beaucoup de monde dans le public qui vous considĂšre comme des hĂ©ros pour avoir fait ce que vous avez fait. Mais ce n'est pas pour autant que c'est honnĂȘte. N'essayez pas de me convaincre que vous avez Ă©tĂ© francs alors que vous ne l'Ă©tiez pas.
Apple a une fois encore assuré de sa bonne foi : si Epic retire les systÚmes d'achats intégrés alternatifs à celui de l'App Store, Fortnite peut revenir dans l'App Store. Mais l'éditeur n'en veut pas, tout comme il refuse la solution temporaire de la juge de verser la commission de 30% dans un dépÎt fiduciaire le temps que l'affaire trouve sa conclusion devant les tribunaux.
L'affaire pourrait se terminer durant un procÚs avec un jury en bonne et due forme. La juge a indiqué qu'il pourrait se dérouler en juillet prochain. En ce qui concerne l'injonction déposée par Epic pour faire revenir Fortnite sur l'App Store, elle fera connaitre son jugement sous peu.
Mise Ă jour 30/09 â Epic et Apple se sont entendu pour renoncer Ă un procĂšs avec jury. Les deux protagonistes prĂ©fĂšrent un procĂšs avec un juge, une procĂ©dure qui n'implique donc pas un jury populaire. Cette dĂ©cision commune ouvre la voie Ă une procĂ©dure juridiquement plus complexe, Ă©tant entendu que la dĂ©cision d'un jury s'impose Ă toutes les parties (mĂȘme s'il est toujours possible de faire appel).