Le coup de la panne #1 : le « bendgate » des iPhone 6 et 6 Plus

Mickaël Bazoge |

La première publication de cet article date du 5 juillet 2020 (lire : Magie de Noël : ces articles du Club iGen passent en accès libre).

Il y a ce qu'Apple veut bien montrer, et ce qu'Apple veut garder derrière le rideau pour ne pas casser la « magie » de ses produits. D'un côté un discours marketing rutilant, de l'autre des pannes récurrentes prises en charge (ou non) par les techniciens des Apple Store.

En compagnie de techniciens Apple Store qui en ont vu des vertes et des pas mûres ces dernières années, nous faisons le point sur les pannes et les dysfonctionnements les plus courants sur les appareils du constructeur. Dans le premier volet de notre saga de l'été : le « bendgate » des iPhone 6 et 6 Plus.

Cette nouvelle série du Club iGen est l’occasion pour nous de lever un coin du voile sur ce qui se passe derrière le comptoir du Genius Bar, là où les techniciens des Apple Store doivent composer entre les discours d'Apple et la réalité.

Oups. Un iPhone 6 Plus plié en démonstration dans un Apple Store à Toronto.

Ce premier épisode s'intéresse aujourd'hui au fameux « bendgate » qui a défrayé la chronique durant le lancement des iPhone 6 et iPhone 6 Plus, à l'automne 2014. Ces smartphones, et en particulier le grand modèle, ont tendance à se plier un peu trop facilement. Esthétiquement, ce n'est pas terrible, et surtout cette torsion peut dégrader le fonctionnement de l'écran tactile : la carte-mère et certains composants finissent par en souffrir.

Le discours officiel public

En septembre 2014, Apple fait table rase du passé. Fini le smartphone unique, fini aussi l'utilisation à une main qui était jusqu'à présent une des principales caractéristiques du smartphone. L'iPhone devient une gamme, avec deux modèles aux écrans plus grands ! L'iPhone 6 et l'iPhone 6 Plus repositionnent Apple sur un marché qui a appris à aimer ces appareils ressemblant à de petites tablettes.

Pour créer un iPhone plus grand qui reste « extraordinairement léger », Apple a « soigneusement sélectionné chaque matériau » : aluminium anodisé, acier inoxydable, verre poli. Les châssis trop faciles à plier ont démontré que le constructeur aurait peut-être dû en faire un peu plus.

Plus grands et plus fins grâce à un nouveau châssis en aluminium anodisé, ces nouveaux iPhone ont vraiment tout pour plaire et la clientèle ne s'y trompe pas. C'est un triomphe pour Apple, qui a su s'adapter à une demande créée — rendons à César ce qui lui appartient — en 2011 par Samsung, avec le tout premier Galaxy Note de 5,3 pouces.

Le discours de démonstration dans les Apple Store

Pour vanter les mérites de la nouvelle gamme d'iPhone, Apple met en place un protocole simple qui a fait ses preuves : la comparaison. Le client était invité à prendre dans une main son iPhone actuel, généralement un iPhone 4s (3,5 pouces) ou 5 (4 pouces), et dans l'autre main le vendeur lui met un iPhone 6 (4,7 pouces), voire un iPhone 6 Plus (5,5 pouces).

La différence saute évidemment aux yeux : l'écran est « incroyablement plus grand » alors que le poids du nouvel iPhone diffère finalement assez peu. L'iPhone 6 pèse 129 grammes, contre 112 g pour l'iPhone 5. L'iPhone 4s est même plus lourd (140 g) ! L'iPhone 6 Plus est significativement plus lourd (172 g), mais son écran est beaucoup plus imposant, selon les critères de l'époque…

Le discours fait mouche et Apple enregistre rapidement des ventes record pour l'iPhone 6/6 Plus : 10 millions d'unités en un week-end ! Malheureusement, ce lancement en fanfare est rapidement terni par une étrange épidémie : les smartphones ont une certaine tendance à se plier…

Le discours technique auprès du client

De nombreux clients insatisfaits ont commencé à se présenter au Genius Bar, avec sous le bras un iPhone étrangement plié. Malheureusement pour eux, Apple s'est montrée inflexible… Au lancement d'un nouveau produit, le constructeur fournit aux techniciens des instructions IMV (Inspection Mécanique Visuel), sorte de cahier des charges qui permet de déterminer si la réparation d'un appareil peut être considérée « sous garantie », « hors garantie » ou « dommage catastrophique » — ce dernier n'autorise aucun service, même payant.

Extrait de l’IMV pour l’iPhone X.

Pour les iPhone 6 et 6 Plus, Apple a estimé que les châssis pliés devaient être considérés comme des « dommages accidentels » : pas de prise en charge possible donc, à moins d'avoir souscrit à une garantie Apple Care+ qui permet d'échanger l'appareil contre une franchise de 99 €. En dehors de cette couverture, point de salut à moins de mettre le gros prix pour un échange standard en bonne et due forme (319 €).

Au Bar, les clients ne comprennent pas et les esprits s'échauffent, mais Apple reste inflexible, ne reconnaissant que « 9 plaintes d'iPhone tordus ». Dans une déclaration à la presse, le constructeur explique que ses deux smartphones sont fabriqués dans un « aluminium anodisé renforcé par trempe1 », qui intègre des « inserts en acier et titane pour renforcer les points d’effort ».

Les multiples retours ont permis au constructeur de constater que les voilures du châssis sont la conséquence d'une « pression importante ». Autrement dit : la pliure n'est pas le fait d'une utilisation classique, et les techniciens doivent donc se référer aux IMV en vigueur.

La réalité des faits

Les techniciens en Apple Store ont dû se creuser la tête pour soutirer du client la cause de la pliure de leurs iPhone. Dans la majorité des cas, la raison est simple : le smartphone généralement placé dans la poche arrière plie quand on s'assoit dessus. Sur l'iPhone 6, Apple ne prendra jamais à sa charge la réparation.

Conséquence de la voilure du châssis, l'écran tactile de l’iPhone 6 Plus affiche des bandes blanches ou grises sur la partie supérieure (l’iPhone 6 présente très rarement ce genre de bandes).

Pour l'iPhone 6 Plus, le constructeur fait un geste. En novembre 2016, un programme de réparation de la « maladie tactile » consécutive à la torsion du châssis est lancé. Mais l'utilisateur doit y mettre du sien, l'opération n'a rien d'automatique (il faut que le smartphone ne présente aucun bris ni fêlure) et surtout, elle n'est pas gratuite.

Le client devra ainsi débourser 155 €, soit le prix de la réparation de l'écran, pour remplacer son iPhone 6 Plus défectueux. Apple a en effet déterminé que ce problème est dû à « plusieurs chutes sur une surface dure », ce qui s'assimile habituellement à un dommage accidentel.

Les échanges sont considérés comme une réparation, ils bénéficient donc d'une garantie de 90 jours. Au-delà, les clients qui reviennent au Bar avec leur iPhone 6 Plus voilé sont quittes pour repasser à la caisse, soit pour un nouvel échange, soit pour acheter un modèle plus récent. Et pas question de bénéficier de la reprise du smartphone : un iPhone 6 Plus plié n'y est pas éligible.

En 2018, en raison d'une class action, Apple fournit des documents qui démontrent que le constructeur savait parfaitement que les châssis des iPhone 6 et 6 Plus pouvaient se voiler trop facilement : des tests de pliage avaient été effectués avant la commercialisation de ces smartphones…

Dès la génération suivante d'iPhone, Apple revoit la conception du châssis de ses smartphones. Les iPhone 6s et 6s Plus bénéficient d'un aluminum 7000, le même que l'Apple Watch du même métal. Des appareils plus lourds, mais sans « bendgate »

👉 Dimanche prochain dans le coup de la panne : les extinctions inopinées de l'iPhone 6s


  1. Un procédé thermique qui renforce la résistance du métal. ↩︎

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