Bruxelles fait les gros yeux à Paris. L'exécutif européen a émis plusieurs critiques concernant la loi « anti Amazon » qui devrait repasser au vote ce jeudi à l'Assemblée. Le principe de ce texte est le suivant : un revendeur de livres en ligne (comprendre : Amazon) ne peut offrir la gratuité des frais de port. Il pourra en revanche proposer une réduction sur les frais de livraison, à concurrence d'un montant équivalent à 5% du prix du livre. De fait, les frais de port pourraient se retrouver à 1 centime au besoin, mais le symbole de la fin de la gratuité est là, tandis que le parlement réitérait son soutien au secteur en crise des libraires.
Le vote de ce texte, qui aurait dû être une formalité après son passage au Sénat en janvier dernier (lire : Le Sénat adopte la loi « anti-Amazon »), a été repoussé pour laisser le temps à la Commission européenne de donner son avis sur le sujet. Et celui-ci est courroucé. Globalement, Bruxelles doute de la pertinence des mesures envisagées vis à vis de l'objectif affiché. La Commission craint que ce dispositif puisse restreindre la liberté d'un libraire établi dans un autre État membre de fournir des services en France; les contraintes que font peser le texte de loi sur les détaillants en ligne pourraient empêcher un acteur à se positionner sur ce marché s'il ne possède pas l'assise économique d'un Amazon. Enfin, l'exécutif européen reproche à la France de n'avoir pas fourni suffisamment d'éléments pour apprécier à sa juste mesure la proportionnalité du dispositif.
La rapporteure du projet de loi, la sénatrice Bariza Khiari, a rappelé que des négociations (« âpres ») s'étaient engagées entre le gouvernement et la Commission, afin d'aligner le projet de loi français avec les exigences européennes. Le texte pourrait ainsi être accepté, si la France renonçait à la mesure consistant à interdire la gratuité des frais de port… ce qui est l'ossature du texte même si, comme on l'a vu, il reste possible aux détaillants en ligne de facturer ne serait-ce qu'1 centime par envoi. La Commission est prête à aller jusqu'à la condamnation si la loi était votée en l'état.
Cette menace, perçue comme un chantage par la rapporteure, n'a pas porté ses fruits : les élus de la Commission de la Culture du Sénat ont en effet décidé de passer outre et de conserver le texte tel quel. En janvier, ce dernier avait été voté à l'unanimité. Quant à une éventuelle condamnation de la Commission, Bariza Khiari renvoie Bruxelles dans les cordes : « Comment les autorités européennes pourraient-elles justifier un contentieux contre le dispositif français, qui protège les libraires sans excès manifeste contre les détaillants en ligne, alors qu'elles demeurent impuissantes face aux stratégies d'optimisation fiscale développées par les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) au détriment des États membres ? »
Source : NextInpact