L’index App Annie surveillant les téléchargements d’applications sur les différents OS mobiles nous apprend que le Japon est désormais le plus gros acheteur d’applications pour iOS/Android (téléchargements de Google Play et d’iTunes Store combinés). Le Japon est passé devant les USA cet automne.
L’année 2013 a été d’ailleurs extraordinaire pour le Japon, par la rapidité de cette croissance et par le montant des dépenses réalisées par les consommateurs nippons. En 2013, les 127,6 millions de Japonais ont dépensé plus d’argent (presque 850 milliards de yens, environ 6 milliards d’euros) en achat d’applications Android et iOS que les 313,9 millions d’Américains ! Cette situation est propre au Japon, car la Corée ou la Chine restent très loin derrière.
App Annie confirme la progression rapide et récente des smartphones dans la société japonaise. Si le Japon a devancé largement les autres pays pendant des années en matière de téléphonie mobile, les industriels japonais se sont reposés sur leurs lauriers dans les années 2000. Le point faible majeur du Japon dans ce genre de domaine reste le logiciel, éternel point noir de l’industrie nippone. La seule balance des paiements positive pour les logiciels japonais reste les jeux vidéo, avec une importance qui s’affaiblit progressivement à cause de l’utilisation fréquente de licences de moteurs 3D conçus en dehors du Japon pour les jeux développés au Japon).
Comment le Japon a perdu la bataille du smartphone
Cette insuffisance donnée au Japon au logiciel a fait qu’à partir de 2008, avec l’apparition de l’iPhone, les industriels japonais ont été incapables de répondre à cette révolution de la téléphonie mobile. Par rapport aux anciens « Smartphones » nés sous Windows CE dans les années 2005 et au succès commercial plus que mitigé, la nouvelle génération de téléphone, les « AppPhones », met l’importance sur la possibilité d’utiliser des applications qui multiplient les usages pratiques du portable. On se souviendra du slogan commercial d’Apple à l’époque « Il y a une application pour cela ! ». La force de cette nouvelle génération de téléphones mobiles réside avant tout dans les applications logicielles, dans le software. Apple a « inventé » le concept avec l’iPhone et Google l’a rapidement rejoint avec son OS Android.
Lorsque l’iPhone arrive au Japon en 2008, distribué par l’opérateur SoftBank, c’est une révolution comme partout dans le monde. Les Japonais découvrent « l’AppPhone », et sont rapidement séduits par le potentiel offert par les applications téléchargeables depuis l’iTunes Store. Appelés improprement « SumaHo », la contraction de « SmartPhone » en syllabaire japonais, car cette nouvelle génération de mobile n’a plus grand-chose à voir avec ce que proposait les téléphones sous Windows CE, cette nouvelle génération pose un problème aux deux opérateurs nippons qui ont refusé les conditions commerciales d’Apple (NTT Docomo et KDDI). Ils s’aperçoivent rapidement que le modèle des téléphones « clamshell » avec un écran se repliant sur le clavier appelé « Gala-Kei »), est condamné. Mais ils doivent se rendre à l’évidence : parmi leurs partenaires japonais (Sony, Sharp, Fujitsu, Toshiba, Nec…), pas un n’a anticipé cette révolution, et plus grave, pas un n’est capable de développer un système d’exploitation permettant l’utilisation d’applications téléchargeables en ligne dans un délai raisonnable.
NTT Docomo est à ce point démuni devant ce qui s’annonce être la nouvelle tendance en matière de téléphonie mobile qu’il est obligé de prendre une décision incroyable pour ce groupe très conservateur : lors du CEATEC, grand salon de l’électronique qui se tient chaque année à Tôkyô en octobre 2010, l’opérateur numéro un de la téléphonie mobile au Japon a réservé la meilleure place sur son stand aux AppPhones de Samsung, qu’il va distribuer. C’est une révolution difficilement compréhensible en France, car les produits coréens et chinois (non fabriqués sous la direction d’une entreprise nippone) sont souvent considérés dans l’Archipel comme de piètre qualité.
Dans les magasins d’électroniques grand public du Japon, les produits coréens sont quasiment inexistants et sont vendus à des prix extrêmement bas, moins chers que leurs concurrents japonais. Ils ne sont pourtant pas tellement achetés, considérés comme du bas de gamme. De même, les produits japonais et particulièrement ceux concernant certains domaines « culturels » comme les jeux vidéo ou les animés jusqu’à récemment, n’étaient pas ou peu commercialisés en Corée du Sud. Les souvenirs du dernier conflit mondial continuent à empoisonner les relations des pays victimes de la « sphère de coprospérité Asiatiques »…
On n’avait jamais vu un produit LG ou Samsung chez NTT Docomo, et la place de choix qui est réservée aux AppPhones sous Android de Samsung, censés être la dernière solution pour lutter contre l’iPhone d’Apple qui continuent à progresser, est un camouflet sévère pour toute l’industrie du mobile japonais. Celle-ci va dès ce moment-là se tourner vers Android, et bientôt tous les grands fabricants du mobile japonais proposent des modèles sous Android à leur catalogue.
En 2013, après une progression constante et importante de l’iPhone dans un pays où beaucoup de personnes possèdent deux mobiles, l’année 2013 va être décisive. Les ventes d’AppPhones explosent passant de 28 % en 2012 à 42 % en 2013. Parallèlement à cette croissance, le nombre des « Gala-Kei » a diminué rapidement en 2013, et cette baisse devrait se poursuivre en 2014. Le premier opérateur de téléphonie mobile, NTT Docomo, a rejoint en septembre ses confrères en commençant à commercialiser l’iPhone au Japon. Cette arrivée a boosté les ventes de Docomo, qui en avait besoin. Depuis, l’arrivée de l’iPhone en septembre dans ses échoppes, l’opérateur s’est remis à gagner des clients ces deux derniers mois (octobre et novembre, passant même devant ses 2 concurrents) alors qu’il en perdait tous les mois depuis plus de 3 ans.
Les AppPhones sous Android sont souvent achetés au Japon par des utilisateurs qui ne s’intéressent pas tellement au téléphone dont ils se servent et qui se contentent du premier mobile mis en avant par le vendeur du magasin. Tous les opérateurs japonais poussent les AppPhones sous Android, car les marges et les conditions sont meilleures pour eux que celles que leur impose Apple. Les possesseurs japonais d’AndroPhones n’achètent pas autant d’applis et ne dépensent pas autant d’argent que les possesseurs d’iPhone/iPad. Mais cela est compensé par leur nombre et d’après App Annie, en 2013, les revenus indexés des 2 plates-formes sont équivalents.
Dans ces revenus, la part provenant des applications de jeux reste prédominante. D’octobre 2012 à octobre 2013, les revenus provenant d’applis jeux ont été multipliés par 3,9 au Japon. Pendant la même période et à titre de comparaison, ils ont été multipliés par 2,7 aux USA. Un jeu, Puzzle & Dragons a assuré à son éditeur GungHo Online une popularité et des revenus incroyables cette année. L’autre application vedette sur iOS comme sur Android au Japon a été Line du nippo-coréen Naver. Ce logiciel permet d’envoyer des messages et de communiquer par chat audio ou vidéo avec d’autres utilisateurs gratuitement. Il règne sans partage sur le marché japonais avec plus de 300 millions d’utilisateurs : pas un écolier, un employé, un possesseur d’AppPhone japonais qui n’ait Line installé sur son téléphone (lire : Japon : nouveau succès pour l'app LINE, intégrée aux offres NTT Docomo).