Apple a déposé plainte contre Qualcomm, l’accusant d’un chantage aux brevets digne des plus grands abus de position dominante. Cette annonce intervient trois jours après que la Federal Trade Commission (FTC) a elle-même déposé plainte contre Qualcomm pour pratiques anticoncurrentielles.
L’antitrust américain reproche à Qualcomm d’avoir abusé de sa position dominante sur le marché des modems cellulaires pour imposer ses conditions et éliminer toute concurrence. Le fabricant est notamment accusé d’avoir conditionné la vente de ses modems à la signature d’une licence imposant le versement de royalties conséquentes.
Des royalties qui concernent parfois « des technologies qu’elle n’a pas conçues », assure Apple. Dans un communiqué transmis à CNBC, la firme de Cupertino se dit « extrêmement déçue de la manière dont Qualcomm » l’a traitée :
Plus Apple innove (…), plus Qualcomm perçoit de l’argent sans justification, et moins le développement de nouvelles fonctions est rentable. Qualcomm a construit son fonds de commerce avec des standards dépassés, et maintient son emprise par l’usage de stratégies d’exclusion et la perception de royalties excessives. Bien qu’elle ne soit qu’une société parmi la douzaine qui a contribué à la création des standards des réseaux cellulaires, Qualcomm continue à exiger d’Apple des redevances au moins cinq fois supérieures au total de celles des autres détenteurs de brevets sur les réseaux cellulaires avec lesquels nous avons des accords de licence.
L’enjeu financier est colossal : selon une récente étude de la fondation Mozilla, les licences sur les brevets représentent près du tiers du prix d’un smartphone, celles sur les modems cellulaires étant les plus chères. Or Qualcomm détient quelques-uns des brevets les plus importants sur les réseaux cellulaires. Ses bénéfices proviennent largement de sa propriété intellectuelle, qu’elle alimente moins par la recherche que par les acquisitions, comme celles récentes de CSR (Bluetooth) et de NXP (NFC).
Qu’un fabricant accepte les conditions de Qualcomm, et il devra lui verser des royalties, mais sera assuré de recevoir ses commandes de modems. Qu’un fabricant refuse, et il devra tout de même lui verser des royalties, par l’intermédiaire des fournisseurs concurrents, qui ne peuvent pas concevoir de modems cellulaires sans empiéter sur la propriété intellectuelle de Qualcomm.
Cette position unique n’est pas illégale, et un accord de licence « juste, raisonnable, et non discriminatoire », « FRAND » dans le jargon de l’industrie, aurait sans doute tenu la FTC à distance. C’est son exploitation abusive qui l’est, et le fait que Qualcomm en a abusé encore et encore, gonflant ses factures avec des brevets superflus, et refusant d’accorder des licences à ses concurrents.
Des pratiques qui lui ont valu d’avoir été condamnée par les régulateurs chinois (2015, 975 millions de dollars) et coréens (2016, 854 millions de dollars), d’être sous haute surveillance en Europe, et d’être donc doublement attaquée aux États-Unis. La plainte d’Apple est directement liée à celle de la FTC, qui mentionnait nommément la firme de Cupertino :
Selon les termes d’un accord signé en 2007, Qualcomm acceptait de rétrocéder à Apple les royalties que Qualcomm avait perçues des fournisseurs d’Apple, dans la limite d’un montant établi par appareil. Les obligations de Qualcomm étaient conditionnées, entre autres choses, au fait qu’Apple ne vende (…) pas d’appareils prenant en charge le standard WiMax, un réseau cellulaire de quatrième génération en développement, soutenu par Intel et combattu par Qualcomm.
Voilà qui explique que l’iPhone n’ait jamais pris en charge le réseau WiMax déployé (et récemment abandonné) par l’opérateur américain Sprint. Ce chantage s’est transformé en prise en otage : au moment même où Apple décidait de coopérer à l’enquête coréenne, Qualcomm suspendait ses paiements, retenant plus d’un milliard de dollars. Une « vengeance », selon la firme de Cupertino :
Apple croit profondément en l’innovation, et nous avons toujours accepté de payer un montant juste et raisonnable pour les brevets que nous utilisons. Nous sommes extrêmement déçus de la manière dont Qualcomm nous traite, et nous n’avons plus d’autre choix (…) que nous tourner vers la justice.
Et vers Intel : libérée de ses obligations envers Qualcomm, Apple s’est précipitée vers la concurrence, quand bien même ses puces ne sont pas encore aussi capables. La firme de Cupertino reste toutefois client de Qualcomm : avant d’être la cible de tout ce que le monde fait comme agences de régulation, le fabricant américain avait conçu la technologie CDMA. Si Apple veut vendre un iPhone capable de se connecter dans le monde entier, alors elle doit encore acheter des puces à Qualcomm.
Source : Image de Une : le siège de Qualcomm. Image Qualcomm.