Le fiasco industriel du Galaxy Note7 montre les limites de Samsung

Mickaël Bazoge |

Noël allait sourire à Samsung. Après un début d’année en fanfare avec les Galaxy S7 et S7 Edge, le constructeur enfonçait le clou avec le Galaxy Note7, une véritable vitrine présentant le meilleur des technologies de pointe de son créateur. Après une réception dithyrambique de la part de la presse, les ventes s’annonçaient explosives… mais tout est allé de travers. Retour sur un accident industriel qui va coûter très cher à Samsung.

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Samsung revient de loin. En fin d’année dernière, on s’interrogeait sur les performances des ventes de smartphones du chaebol. En 2015, il s’était contenté d’une croissance de ses volumes de 2,1 % par rapport à 2014. Dans le même temps, les livraisons d’iPhone progressaient de plus de 20 % (chiffres IDC) ! Même si le groupe restait un solide numéro 1 du secteur avec 22,7 % du marché contre 16,2 % pour Apple, Samsung semblait perdre prise et ne plus « sentir » le marché aussi bien qu’auparavant.

Mais l’entreprise a de la ressource. Dès le mois de février, Samsung a su rebondir avec les Galaxy S7 et S7 Edge, qui reprenaient les principales caractéristiques de leurs prédécesseurs, tout en apportant des fonctions qui avaient été laissées de côté comme l’étanchéité et un slot pour carte SD (lire : Test du Samsung Galaxy S7 edge). Ajoutez à cela un appareil photo parmi les plus performants du marché, et la table était mise pour un retour en trombe du mastodonte de l’électronique.

Pour la communication du Galaxy S7, Samsung a mis le paquet. Ici devant l'Apple Store Opéra, à Paris. Image @macinsideCliquer pour agrandir

Et il n’a pas fallu attendre bien longtemps pour voir les résultats. Dès le premier trimestre, Samsung repassait devant Apple aux États-Unis, reprenant ainsi la première marche du podium sur le marché le plus convoité et le plus concurrentiel de la planète. Depuis le début de l’année, le groupe connait en fait une progression sensible de son chiffre d’affaires et surtout, de ses bénéfices : + 11,7 % au premier trimestre, + 17 % au second. Et le troisième trimestre s’annonce tout aussi bien.

Ces résultats sont évidemment le reflet de la bonne santé de toutes les activités de Samsung, mais les smartphones en représentent la part du lion : au second trimestre, la moitié des profits provenaient en effet de la division IT & Mobile Communications, celle-là même qui conçoit les Galaxy. Et puis le mois d’août est arrivé.

Fragments chronologiques d’un accident industriel

Samsung bat le rappel

La première alerte est arrivée le 31 août, deux semaines après le lancement du Galaxy Note7 dans dix pays, dont les États-Unis. Samsung annonçait des « tests de qualité additionnels » suite aux premiers témoignages de combustion spontanée de la batterie.

Un des premiers cas de combustion spontanée.

Le 2 septembre, le constructeur suspend une première fois les ventes du Galaxy Note7 dans les pays déjà servis, tout en repoussant le lancement partout ailleurs. Surtout, Samsung lance un programme de rappel mondial des phablettes déjà vendues : 2,5 millions d’unités en tout, du jamais vu dans le secteur de la téléphonie.

Le constructeur rassure : le problème peut être résolu « simplement, en changeant la batterie ». Seuls 0,1% des Galaxy Note7 seraient affectés, et à l’époque, 35 cas de surchauffe sont recensés. À ce jour, Samsung n’a jamais clairement expliqué le problème, même si les hypothèses penchent vers un contrôleur défectueux. Plus embêtant encore, la batterie est fournie par Samsung SDI, une filiale du constructeur dont il détient 20 % du capital.

Quelques jours plus tard, c’est au tour des autorités américaines en charge de la sécurité aérienne, puis des compagnies elles-mêmes, de demander à leurs passagers d’éteindre et de ne pas utiliser leur Galaxy Note7 en vol. Air France emboîte rapidement le pas, comme l’ensemble des transporteurs.

Cette voiture a pris feu après la combustion d'un Galaxy Note7 —

Le 13 septembre, Samsung annonce que les Galaxy Note7 vendus en Corée du Sud recevront une mise à jour logicielle pour limiter la charge de la batterie à 60 % afin d'encourager les utilisateurs à rapporter leur modèle. Un message d’alerte va apparaître sur les smartphones des récalcitrants. En France aussi, Samsung bat le rappel des modèles livrés après leur précommande, mais le lancement à proprement parler est repoussé entre fin octobre et début novembre.

Le 16 septembre, l’agence américaine en charge de la protection des consommateurs conseille à son tour aux utilisateurs du Galaxy Note7 de rapporter leur appareil à Samsung. Sur le million d’unités vendues aux États-Unis, seuls 130 000 exemplaires ont été retournés. Il faut dire que malgré les excuses de Tim Baxter, le président de la branche US de Samsung, la communication du constructeur est confuse, chaque jour apportant son lot de nouvelles informations parfois contradictoires. Pire encore, les modèles de remplacement ne seront pas disponibles avant le 21 septembre, ce qui ne pousse pas les utilisateurs à échanger leurs modèles.

Malgré tout, Samsung annonce des chiffres de rappel rassurants : en Corée du Sud, 80% des Galaxy Note7 ont été remplacés, 50% en Europe et en Amérique du Nord… mais seulement 10% aux États-Unis. Le constructeur précise que 95% des utilisateurs continuent de lui faire confiance en choisissant un appareil Samsung pour remplacer leur appareil défectueux — bien souvent d’ailleurs, il s’agit d’un nouveau Galaxy Note7.

Le 1er octobre, Samsung relance la commercialisation du Galaxy Note7 en Corée du Sud, puis dans d’autres pays quelques jours plus tard. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire.

Une spirale sans fin

Le cauchemar de Samsung est en effet loin d’être terminé. Des Galaxy Note7 « sains », c’est-à-dire des modèles équipés de nouvelles batteries de remplacement fournies par le chinois Amperex (qui livre aussi Apple), prennent feu aux États-Unis et en Corée du Sud. Dès mardi, un modèle prenait feu en pleine nuit chez Michael Klering, dans l’État du Kentucky.

Le Galaxy Note7 censé fonctionner avec une batterie sans bug a pris spontanément feu sans être branché au courant, envoyant son infortuné utilisateur à l’hôpital pour soigner une bronchite aiguë. Klering a même reçu un SMS d’un responsable de Samsung qui ne lui était pas destiné : ce représentant de l’entreprise demandait s’il fallait « temporiser » l’affaire, ou laisser faire le propriétaire de l’appareil qui menace de porter plainte contre Samsung.

Mercredi, c’est un avion qu’il a fallu évacuer, toujours aux États-Unis, alors qu’un Note7 prenait feu. Vendredi, un autre appareil a surchauffé entre les mains d’une adolescente de 13 ans du Minnesota. Dimanche, une phablette brûlait à Houston, une autre en Viginie. Deux autres cas se sont produits en Corée du Sud et à Taïwan.

Pendant ce temps, Samsung ressasse le même discours selon lequel la sécurité de ses clients prime sur tout… mais pourquoi alors ne pas avoir demandé de cesser d’utiliser le smartphone, dès que le premier cas a été porté à la connaissance du constructeur ? Impossible de blâmer la loi des séries ou de déplorer des coïncidences malheureuses ici : c’est tout un processus industriel et de gestion du contrôle qualité qui est à revoir.

Les opérateurs américains ont évidemment suivi le dossier de très près. Après tout, ils sont en première ligne en cas de poursuites judiciaires et malgré leur réactivité, des class actions semblent inévitables. En fin de semaine dernière, AT&T cessait la commercialisation du Galaxy Note7, puis il arrêtait de remplacer les Note7 auprès des clients déjà équipés. Verizon et T-Mobile ont rapidement suivi.

Trop vite, trop loin, trop fort

Mais que s’est-il passé pour que Samsung néglige ainsi la sécurité de ses clients ? Il y a un péché originel : lancer la phablette avant les nouveaux iPhone et, si possible, avec suffisamment de délai pour engranger un maximum de ventes. Dès le début d’année, les observateurs se doutaient qu’Apple allait creuser le sillon des iPhone 6 et 6s, plutôt que de lancer un tout nouveau smartphone.

Durant le lancement du Galaxy Note7, le 2 août. Image Samsung — Cliquer pour agrandir

Le constructeur coréen a donc appuyé sur le champignon, en développant un appareil représentant l’état de l’art… et en brûlant les étapes durant la conception de l’appareil. Couper l’herbe sous le pied d’Apple, c’était donc la raison pour laquelle Samsung a précipité la conception de son smartphone vedette de seconde partie de l’année (lire : Galaxy Note 7 explosif : en voulant griller Apple, Samsung est allé trop vite).

Le pari a été payant… avant les premières explosions. Les conséquences sont catastrophiques comme on le voit aujourd’hui. Et c’est loin d’être terminé : outre les possibles poursuites judiciaires, combien de Galaxy Note7 — de remplacement ou non — sont comme de petites bombes à retardement chez les utilisateurs les moins au courant de l’affaire ? Un drame est-il à craindre ?

Sans aller jusqu’à évoquer le pire, Samsung va devoir très sérieusement rehausser le niveau de sa communication de crise, et c’est un euphémisme. Cette communication, on peut la qualifier, au mieux, de déficiente : le SMS reçu par erreur par une victime montre à tout le moins un sacré cynisme de la part de la branche US de Samsung. C’est peut-être cette communication désastreuse qui fera le plus de mal à long terme à l’image de marque du groupe dans son ensemble.

Au delà du coût du rappel (sans doute plus d'un milliard de dollars) et de « l’ajustement » dans la production de sa phablette (mais on parie sur un arrêt définitif de la commercialisation et de la production du Galaxy Note7), c'est l'ensemble des appareils du groupe qui sont touchés. Et pas uniquement les smartphones d'ailleurs, Samsung donnant volontiers le bâton pour se faire battre (lire : Des lave-linge Samsung peuvent exploser à l'essorage) !

C’est dans les prochains jours que l’on verra la réaction de Samsung qui, au pied du mur, se doit de revoir ses processus de fabrication, de rénover complètement son discours et surtout, faire vraiment en sorte que la sécurité de ses clients soit sa priorité numéro un.

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