Montblanc veut croire — et faire croire — que l’industrie horlogère ne s’inquiète pas de la concurrence des montres connectées. Les journalistes aboient, les montres connectées passent, et les montres mécaniques restent, tel est en substance son message.
Pourquoi un fabricant allemand de stylos s’en mêle-t-il ? Parce que c’est aussi une manufacture horlogère, cousine de Baume & Mercier, Cartier, Piaget, IWC, Jaeger-LeCoultre, et Vacheron Constantin par l’entremise du groupe Richemont. Un groupe fondé et dirigé par le milliardaire Johann Rupert, qui fut jadis le premier distributeur de produits Apple dans son Afrique du Sud natale.
« J’adore Apple », a-t-il eu l’occasion d’admettre en présentant les résultats annuels de sa société, « mais alors que j’ai juste fini de paramétrer mon iPhone 5, l’iPhone 6 sort et je dois changer de câble » (les deux téléphones partagent le même port Lightning, mais passons). « Ça ne veut pas dire que l’Apple Watch n’est pas un excellent produit. Je pense qu’elle va très bien marcher, mais je ne pense pas que les clients seront ravis de jeter leur montre dans un ou deux ans, quand ses technologies seront obsolètes. »
Alexandre Schmiedt, directeur de la division horlogère de Montblanc, en rajoute une couche : « nos produits devraient avoir de longs cycles de vie, mais c’est tout l’opposé dans le monde des nouvelles technologies. [Un produit] peut être le truc le plus à la mode aujourd’hui, mais dans un an il sera déjà démodé, et dans deux ans on se moquera de vous parce que vous l’utilisez toujours. »
Face à cette succession de temps courts, Montblanc convoque le temps long de l’horlogerie, industrie dont les représentants les plus prestigieux sont pluriséculaires. La jeune manufacture parie sur l’alliance d’un module électronique, remplaçable au gré des modes et des technologies, et d’une montre mécanique. Il s’agit de l’E-Strap, qui se glisse sur n’importe quel bracelet de 20 ou 22 mm et vaut 350 €.
« Le prix est raisonnable », explique un analyste à Bloomberg — et si Montblanc perd son pari, « au moins le client aura toujours une jolie montre », comme l’une des Timewalker Urban Speed vendues entre 2 990 et 4 690 € avec l’E-Strap. Les fonctions du module sont limitées au suivi d’activité et à quelques notifications basiques, mais il est compatible avec iOS comme avec Android, et peut passer de montre en montre.
Une future version devrait embarquer une puce GPS, et l’actuelle devrait être mise à jour pendant « au moins deux ans ». Le groupe Richemont semble en tout cas persuadé du bien-fondé de cette approche : IWC proposera bientôt son propre module connecté. Si la maison de Schaffhausen est plus prestigieuse et traditionnelle, elle ira paradoxalement plus loin que Montblanc, puisque son module permettra de piloter des appareils domestiques connectés.