Apple a été condamnée à payer 48 millions d’euros pour avoir imposé des clauses illégales à Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, révèle L’Informé. Une affaire vieille de plus de dix ans qui illustre la position de force de l’iPhone sur le marché français.
Le début de l’histoire remonte à 2013, lorsque le gouvernement Ayrault ordonne une enquête sur les conditions commerciales imposées par Apple aux opérateurs français. Au terme de la saisine, l’entreprise américaine a été reconnue coupable de neuf clauses créant un déséquilibre significatif.

Quand Apple dictait ses conditions aux opérateurs
La clause illégale peut-être la plus flagrante concerne la publicité : Apple faisait payer toutes les campagnes de l’iPhone par les opérateurs, qui voyaient juste leur logo apparaitre furtivement à la fin des spots. Ces contrats signés en 2013 — l’année des iPhone 5s et 5c — forçaient Orange à dépenser 10 millions d’euros par an, SFR 8 millions, et Free et Bouygues Telecom environ 7 millions chacun. Le tribunal a jugé que cette clause était abusive et qu’elle témoignait « d’une véritable soumission de l’opérateur. »
Mais la mainmise d’Apple allait bien au-delà du marketing. Sur le plan commercial, les opérateurs devaient commander des volumes fixes (jusqu’à 5,35 millions d’iPhone sur trois ans pour Orange, 4 millions chez SFR et 350 000 chez Free) et respecter des prix de vente encadrés. Le tribunal a considéré que ces dispositions violaient le code du commerce en plaçant les opérateurs dans une position de dépendance incompatible avec des relations commerciales équilibrées. Les neuf clauses illégales sont les suivantes :
- Encadrement de la politique tarifaire des opérateurs
- Obligation pour l’opérateur de certifier à Apple que les subventions moyennes respectent les exigences contractuelles
- Possibilité pour Apple de réaliser des audits sur le taux moyen de subvention et plus globalement de vérifier que les opérateurs conservent les registres nécessaires à la vérification du respect des conditions du contrat
- Obligation pour les opérateurs de transmettre à Apple les rapports d’inventaire et les résultats des ventes unitaires
- Conditions strictes de commandes par les opérateurs à Apple
- Possibilité pour Apple d’utiliser librement les marques appartenant aux opérateurs
- Contribution des opérateurs à un fonds publicitaire utilisé à la discrétion d’Apple
- Possibilité pour Apple de connaître gratuitement les performances du réseau des opérateurs
- Possibilité pour Apple d’utiliser sans rémunération les brevets des opérateurs
À l’époque où ces contrats ont été signés, il faut savoir que les opérateurs représentaient 90 % des ventes d’iPhone en France. Apple ne permettait pas encore à Amazon de commercialiser son smartphone (cela n’arrivera qu’en 2019) ne proposait pas un crédit à 0 % sur sa boutique en ligne pour favoriser son propre canal. Dans ce contexte, les juges ont noté que « le caractère révolutionnaire de l’iPhone, qui était en train de bouleverser la téléphonie mobile dans le monde, faisait pencher le rapport de force très nettement en faveur d’Apple, et rendait obligatoire pour les opérateurs mobiles de conclure un accord ». Et de conclure que « la gravité des pratiques d’Apple, partenaire incontournable et indispensable des opérateurs de téléphonie mobile, a eu pour effet de compromettre toute négociation effective pendant une longue période. »
Dix ans de procédure… avant un nouvel épisode ?
Au bout du compte, Apple est condamnée à payer 48 millions d’euros. Dans le détail, il y a 8 millions d’euros d’amende, 950 000 euros de frais de procédure et 38,7 millions d’indemnités pour trois opérateurs. Bouygues touche 16 millions, Free 15 millions et SFR 7,7 millions. Orange, qui réclamait 108 millions, repart bredouille. Le tribunal a estimé que l’opérateur historique a « engagé sa responsabilité dans la situation qu’elle déplore et a concouru au préjudice qu’elle allègue. » Même constat pour SFR et Bouygues, dont les dédommagements ont été partiellement réduits : « [Les opérateurs] ont accepté pendant plusieurs années des dispositions qu’ils qualifient aujourd’hui de défavorables, et qu’ils se sont abstenus de contester lors du renouvellement du contrat. » En clair : ils ont joué le jeu d’Apple trop longtemps.
L’affaire aura mis plus d’une décennie à aboutir car Apple a usé de tous les recours possibles, jusqu’à tenter — en vain — de saisir la Cour de justice de l’Union européenne. Et ce n’est peut-être pas terminé. Selon L’Informé, certaines des clauses jugées illégales sont toujours en vigueur, ce qui pourrait inciter Apple à faire appel. On voit toujours les logos des opérateurs apparaître subrepticement à la fin des pubs pour l’iPhone… L’entreprise n’a pas répondu aux sollicitations de nos confrères.











