Tidal continue son expansion européenne avec un lancement en France. Ce qu’est Tidal ? Un des deux services de streaming d’Aspiro, petite société suédoise que Jay-Z essaye d’acheter pour en faire son Beats Music. Sa particularité ? Il concurrence moins Spotify que Qobuz avec son immense catalogue de titres diffusés sans perte. Ce que cela donne ? La réponse dans notre aperçu.
Un service de streaming audiophile
Le catalogue de Tidal compte 25 millions de morceaux et 75 000 vidéos. Les habituels reclus du streaming mis à part, il est bien difficile de ne pas trouver ce que l’on cherche — y compris du jazz suédois, du blues des années 30, et de la country de la Saskatchewan. Si ce catalogue souffre d’un défaut, c’est peut-être d’être trop imposant : pris au jeu de celui qui a la plus grosse, Tidal propose d’innombrables singles, compilations, best of officieux et reprises de karaoké dont le public visé n’a cure.
Le public visé, c’est celui des audiophiles qui ne peuvent pas se contenter des services de streaming diffusant de la musique compressée. Tidal diffuse en FLAC (sur PC et Android) ou en ALAC (sur Mac et iOS) à 16 bits et 44,1 kHz. Qobuz diffusera bientôt en 24 bits, mais cela ne servira pas à grand-chose de plus qu’à gâcher de la bande passante : l’offre de Tidal est irréprochable sur ce point…
…ou presque : pour profiter d’une telle qualité, il faut absolument utiliser les applications sur iOS et Android, ou Chrome 38+ sur Mac et PC. L’interface web fonctionne aussi sur Safari 6+ et Firefox 33+, mais elle ne diffusera alors qu’en AAC 320 (on le remarque à l’absence de la mention « HIFI » sur le lecteur). On peut aussi choisir d’écouter en HE AAC 96, mais on se demande qui voudrait bien s’infliger un tel supplice.
Vous l’aurez compris, Tidal ne propose pas de client Mac, ou du moins rien de plus qu’une coquille entourant son site web. Ce n’est pas un drame, puisque l’on peut parcourir le catalogue tout en écoutant de la musique, la navigation étant fluide et rapide. Tout au plus peut-on regretter l’absence de synchronisation entre le web et les apps : il n’est pas possible de reprendre sur un appareil la lecture commencée sur un autre. Tidal s’intègre par contre à de nombreux systèmes sonores, dont ceux de Sonos, de Linn, de Mirage, ou encore de Meridian.
Des systèmes haut de gamme pour une écoute sans perte demandant une solide connexion. Pour éviter de passer son quota de données cellulaires dans la journée, mieux vaudra télécharger les morceaux à l’avance, passer en AAC 320, ou privilégier une connexion Wi-Fi. Même avec une connexion fibrée, le chargement du premier morceau demande quelques secondes ; la suite est préchargée pour éviter les interruptions.
La différence entre l’ALAC et l’AAC est d’autant plus sensible que l’on peut facilement passer de l’un à l’autre. Cela étant dit, la diffusion en lossless ne garantit pas que la musique soit toujours d’une excellente qualité. Un master repris à la truelle, du grunge enregistré à travers trois compresseurs, ou de la pop mixée pour les autoradios et YouTube, ne « sonneront » pas mieux en lossless qu’en MP3 192. Ils « sonneront » souvent moins bien.
Un service fortement « éditorialisé »
Un casque quelconque branché sur la sortie audio d’un iPhone, les bénéfices de l’ALAC ne sont pas non plus évidents. Bref, les conditions pour profiter au mieux de Tidal sont très particulières, et demandent un investissement certain en amont. Mais quand elles sont réunies, l’écoute est tout simplement jouissive. D’autant qu’elle peut durer des heures et des heures et des heures, grâce aux nombreuses sélections effectuées par l’équipe d’éditeurs et de journalistes de Tidal.
Si la page d’accueil de Tidal laisse une place aux derniers albums sortis, elle se concentre d’abord et avant tout sur des sélections thématiques. Cette approche rappelle celle de Beats Music, et permet de mitiger la surabondance du catalogue tout en élargissant les horizons de l’auditeur. Tidal propose ainsi un « magazine », qui permet de (re)découvrir des artistes, des albums et/ou des genres. Après quelques jours d’utilisation, force est de constater que cette approche est efficace.
Les 75 000 vidéos ne sont pas mises en avant et les interviews ne sont pas traduites en français, mais les sélections sont pertinentes. La plupart surfent sur l’actualité, comme cette étonnante liste de lecture célébrant l’anniversaire de la bière en canettes, ou celle-ci autour du film Whiplash. D’autres tournent autour d’un genre, comme cette playlist sur le bluegrass. Chaque jour ou presque, l’équipe propose aussi une sélection éclectique de dix morceaux plus ou moins récents.
Tout l’intérêt de ces sélections est qu’elles peuvent servir de point de départ à une exploration du catalogue. On peut lancer une « radio » à partir d’un morceau, ou ajouter toute une sélection à ses listes de lecture, qui prennent place dans l’onglet Ma musique. Ces fonctions ne sont pas spécifiques à Tidal, bien sûr, mais elles y sont particulièrement bien réalisées (on peut, par exemple, ajouter aussi bien un morceau qu’un album à la file d’attente de lecture).
Tidal offre bien sûr des modes de navigation plus traditionnels, par album ou par genre par exemple, et propose un moteur de recherche simple mais efficace. Il faut seulement remarquer que les sélections dédiées aux artistes français et/ou en français ne sont pour le moment pas légion. « Pour le moment », car Tidal promet de multiplier son offre dans les prochaines semaines. Ainsi, le catalogue du label Because Music, l’un des principaux labels français indépendants, sera intégré au service dans les prochains jours.
De manière générale d’ailleurs, Tidal met beaucoup l’accent sur les artistes indépendants et moins connus. Il n’y a qu’à mettre sa page d’accueil à côté de celle de l’iTunes Store pour comprendre : quand Tidal fait la promotion de Sannhet et de Simone Dinnerstein, Apple célèbre Madonna et Texas. On retombe vite sur les mêmes albums, sorties obligent, mais ce genre de choix est révélateur de l’approche de Tidal. Il propose de la musique un peu plus sophistiquée que la moyenne, dans une bien meilleure qualité que la moyenne, pour des auditeurs payant un peu plus que la moyenne.
Un service attractif et attachant, mais cela suffit-il ?
Car Tidal ne propose pas d’offre gratuite financée par la publicité. Non, c’est un service premium facturé 19,99 € par mois. À ce prix, on peut utiliser un appareil en ligne en même temps que trois appareils hors-ligne : cela ne remplace pas une offre famille, mais permet de relativiser un peu le prix qui n’est après tout que celui d’un bon disque. Dans ces conditions, Tidal est comme un buffet à volonté dans lequel on pourrait piocher en qualité CD, le temps de l’abonnement.
Eu égard à l’ampleur de l’offre, la qualité sonore et le travail éditorial, ce prix paraît justifié. Mais encore faut-il désirer une telle qualité sonore et apprécier d’être pris par la main et les oreilles. L’offre de Qobuz, similaire en qualité et en prix, compte moins de 20 000 abonnés ; Deezer réserve son offre Élite aux propriétaires de matériel Sonos. Tidal peut-il faire mieux ? Pas sûr. Et c’est dommage, parce que c’est un service particulièrement plaisant.
[Mise à jour du 31 mars 2015] Désormais propriété de Jay-Z, Tidal a été relancé avec de nouvelles offres :
- Tidal Premium, qui propose de la musique en qualité AAC 320 pour 9,99 € par mois ;
- et Tidal HiFi, qui propose du lossless pour 19,99 € par mois.
Les deux offres puisent dans le même catalogue et bénéficient des mêmes services — seule la qualité audio les distingue. L’offre la moins chère, issue de l’absorption de Wimp, concurrence directement Spotify.
Auréolé du soutien de nombreux artistes — parmi lesquels Daft Punk, Coldplay, Rihanna, et Beyoncé bien sûr — Tidal promet désormais de se battre pour obtenir plus d’exclusivités que ses concurrents. Il a déjà réussi à attirer Jack White, pourtant amateur de vinyles devant l’éternel.