Devialet était un fabricant d’amplificateurs « hybrides » relativement méconnu avant de lever des fonds pour concevoir son enceinte Phantom. L’entreprise est maintenant réputée pour l’audace de son design, à mi-chemin entre les enceintes Altec Flamenco et les navettes Columbia, et le charme de son identité française, incarnée dans un partenariat de marque avec l’Opéra de Paris1. Après avoir équipé la Freebox Delta, Devialet a lancé des écouteurs sans-fil, une barre de son et maintenant une enceinte portable.
Mais pas n’importe quelle enceinte portable : la Devialet Mania est l’un des rares modèles dotés d’une puce Wi-Fi et compatibles avec le protocole AirPlay. C’est aussi une enceinte portable qui coute, tenez-vous bien, la bagatelle de 790 €. L’édition « Opéra de Paris » aux accents dorés coute même 990 € ! Est-ce bien raisonnable ? La réponse dans notre test de la Devialet Mania.
Le look Devialet
Que l’on adore ou que l’on déteste, il est difficile de rester indifférent au look des produits Devialet. La construction de la Mania est un peu plus conventionnelle que celle des Phantom, mais on ne peut pas dire qu’elle est conformiste pour autant. L’entreprise française place une nouvelle fois deux woofers dos à dos, afin qu’ils travaillent l’un contre l’autre pour réduire les vibrations parasites (push-push) et qu’ils forment les joues de l’enceinte.
Le travail réalisé sur la petite poignée mérite d’être salué. Le plastique est rigide quand il doit former des cotes, qui soulignent les courbes et améliorent la préhension, mais souple quand il doit former des boutons, qui contrôlent la lecture d’un côté et les connexions de l’autre. Le monogramme de Devialet est discrètement incrusté sous la poignée… mais le logo est sérigraphié de manière nettement plus ostentatoire sur les membranes des woofers.
La Mania peut être vue comme une grosse orange composée de quatre quartiers. À condition de savoir où et comment tirer dessus sans les casser, les panneaux de tissu acoustique peuvent être retirés pour dévoiler les secrets de l’enceinte. Chaque woofer est flanqué d’une paire de hautparleurs en aluminium que l’on ne peut pas décrire comme des tweeters, puisqu’ils couvrent aussi bien les fréquences les plus aigües que les médiums.
Les woofers se chargent uniquement des fréquences les plus basses, qui sont plus difficiles à localiser, et pointent donc vers les côtés pour (essayer de) faire sonner l’enceinte plus grande qu’elle est vraiment. Les quatre autres hautparleurs pointent vers le haut et les éventuelles oreilles pour (essayer de) définir précisément la scène sonore. Les « technologies propriétaires » ASC et SAM se chargent du reste.
Le mécanisme de SAM, pour speaker active matching, analyse le comportement des hautparleurs pour adapter le niveau des basses. Le système ASC, pour active stereo calibration, utilise les quatre microphones de l’enceinte pour « écouter » la musique et faire évoluer le traitement sonore en fonction des conditions de reproduction. Le résultat est moins impressionnant que le sabir technicocommercial de Devialet veut bien le faire croire.
Le son Devialet
Malgré sa construction symétrique, la Mania est incapable de séparer les deux canaux d’une piste stéréo et de produire une scène sonore convaincante. Il faut monter le volume jusqu’à des niveaux déraisonnables pour qu’elle cesse de sonner plus petite qu’elle est, mais même ainsi, elle ne fait jamais oublier sa taille de 17,6 × 19,3 × 13,9 cm. Devialet n’a pas (encore) dépassé les lois de la physique.
Plus embarrassant : l’entreprise semble avoir raté quelque chose dans ses algorithmes de traitement du signal, tant il est facile de déceler le point de la courbe de fréquences à partir duquel les hautparleurs à large bande prennent la relève des woofers2. Dans la plupart de nos tests, la projection perd en largeur (l’axe des woofers) ce qu’elle gagne en hauteur (l’axe des hautparleurs) autour de 500 à 600 Hz, c’est-à-dire au beau milieu de la gamme de fréquences d’un piano ! Ce renversement est d’autant moins subtil que les instruments sont acoustiques et les arrangements sont simples.
Devialet mise clairement sur l’aspect spectaculaire des basses, même si l’excursion des woofers de la Mania est plus courte que celle des joues des Phantom et Reactor, qui ressemblent à des poissons-ballons taciturnes. La membrane vibre encore à 10 Hz, mais le signal est absolument inaudible avant 30 Hz et pratiquement négligeable avant 60 Hz. Reste qu’il est remarquable d’entendre les notes les plus profondes d’un orgue ou d’une contrebasse sortir d’un petit œuf.
Sauf que la distorsion est tout aussi remarquable : extrême à 30 et 40 Hz, des fréquences heureusement très atténuées, elle est encore forte jusqu’à 100 Hz. Le woofer se débat — dans les deux sens du terme — pour reproduire les fréquences « pures » d’un solo de contrebasse ou des octaves inférieures d’un synthétiseur. Le bruit des vibrations et des claquements à l’intérieur de l’enceinte finit par couvrir celui de la musique.
À l’autre bout du spectre sonore, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre distinctement quelque chose entre 16 et 20 kHz avec mes oreilles de trentenaire ! Las, ce n’est rien d’autre que du bruit. Ce qui me rappelait les artéfacts produits par une compression MP3 un peu trop forte sur le crash d’une cymbale ou le timbre d’un piccolo est interprété par mon équipement de mesure comme un niveau insupportablement élevé de distorsion.
« Heureusement », les aigus s’affaissent rapidement, une caractéristique qui arrondit le son de la Mania jusqu’à une certaine nonchalance. Cette enceinte française parvient à ramollir les classiques de la French touch : elle tape fort, et il faut bien dire que c’est jouissif, mais elle frappe paresseusement, et il faut bien dire que c’est pénible. Sans le soutien des fréquences les plus hautes, les morceaux manquent terriblement d’air et de clarté.
Quelques titres sont incroyablement satisfaisants, mais la plupart souffrent d’un surplus de basses ou d’un manque d’aigus, et parfois des deux. Les hautparleurs doivent accomplir des miracles pour imposer les fréquences moyennes, très linéaires et joliment détaillées, si bien que les deux parties de l’enceinte semblent parfois se battre l’une contre l’autre. Dès lors, il n’est pas étonnant que l’égaliseur « Voix » réduise les basses au maximum pour laisser les hautparleurs s’exprimer.
Avec un brin d’AirPlay
Ce qui nous amène au logiciel. L’application Devialet, qui rappelle élégamment la télécommande circulaire de la Phantom, est certifiée Spotify Connect et Roon Ready. Sauf que tout l’intérêt de la Mania réside dans sa puce Wi-Fi 802.11 ac bibande et sa prise en charge du protocole AirPlay 2. Devialet intègre parfaitement le framework fourni par Apple, qui permet de connecter l’enceinte au réseau Wi-Fi en quelques clics pour l’utiliser immédiatement avec tous ses appareils.
AirPlay 2 garantit une diffusion de qualité CD sans accrocs ni latence, gère plus ou moins bien l’envoi de musique vers plusieurs enceintes (sans pour autant permettre de former une véritable paire stéréo de Mania) dans plusieurs pièces, et peut être contrôlé avec Siri. Mais il requiert un réseau Wi-Fi et ne peut donc être utilisé à l’extérieur, sauf à bricoler avec un modem 4G/5G ou des appareils intermédiaires. La connexion Bluetooth 5.0 est donc indispensable pour utiliser la Mania en déplacement3.
Mais pour aller où ? Devialet promet dix heures d’autonomie, ce qui n’est déjà pas fameux dans l’absolu, mais l’enceinte rend l’âme après 8 h 45 de lecture en boucle de notre playlist habituelle à mi-volume (Apple Music, Spotify, Qobuz). Or le socle de charge sans-fil n’est fourni qu’avec l’édition « Opéra de Paris » aux accents plaqués or, qui coute 200 € supplémentaires !
Pour avoir l’insigne droit de recharger la Mania sans courir le risque de laisser des traces tout autour du port USB-C, il faut débourser 99 €. À ce prix, la station de charge n’est même pas déclinée dans les deux coloris de l’enceinte, le « gris clair » que nous avons testé et le « noir profond » qui n’est pas appliqué aux membranes des woofers. Sur ce coup, Devialet fait preuve d’une mesquinerie crasse, puisque le carton de l’enceinte prévoit un emplacement pour le chargeur.
L’entreprise française propose un deuxième accessoire à 99 €, un « cocon » de transport en feutre thermoformé qui dit tout ce qu’il faut savoir sur la fragilité de l’enceinte. Les grandes membranes exposées et les quatre panneaux de tissu, sans parler du poids de 2,3 kg, n’incitent pas à jeter négligemment la Mania dans un sac à dos plein à craquer. (Mais si vous êtes du genre à jeter une enceinte à 790 € dans votre sac, envoyez-moi un e-mail, j’ai une longue liste d’idées pour dépenser bêtement votre argent.)
Quoiqu’en dise Devialet, la Mania est une enceinte moins portable que transportable, de la chambre au jardin… ou d’un bout à l’autre de votre villa. Évitez seulement de la placer au bord de la piscine, un accident est si vite arrivé, le fabricant ne garantissant pas qu’elle résiste à un plongeon (IPX4). De ce point de vue, la Mania fera le parfait compagnon d’une paire de Phantom dans le salon et d’une barre Dione sous le téléviseur, et les écouteurs Gemini assureront les usages vraiment mobiles.
Au final, ce genre de produits défie notre système de notation. Achetez, n’achetez pas, notre critique importe peu. Devialet applique la méthode Beats (plein de basses, très fort) au dérapage statutaire du marché de la Hi-Fi (plein de trucs qui brillent, très cher). Les clients de la Devialet Mania sont des clients de Devialet avant tout, et la Mania est le produit Devialet par excellence.
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Phantom, Opéra. Vous l’avez ? Ouais, les markéteux sont moins drôles qu’ils ne le pensent. ↩︎
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Dans une enceinte conventionnelle, on parlerait de crossover, mais les enceintes connectées utilisent généralement un DSP et ajustent souvent la transition entre les différents hautparleurs en fonction des conditions de reproduction. ↩︎
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Et seulement en déplacement. À la maison, la latence de la connexion Bluetooth est beaucoup trop élevée lorsque l’on regarde un film ou que l’on joue à un jeu vidéo. La connexion Bluetooth s’active automatiquement lorsque l’enceinte perd la connexion au réseau Wi-Fi. ↩︎