Imaginez la scène, un matin, trop pressé, mal réveillé, le petit dej’ bousculé, vous sortez de chez vous le pas rapide, les minutes et les mètres passent et là, c’est le drame. Vous avez oublié votre montre. Les miracles de la technologie font que cette montre ne fait pas que vous donner l’heure, mais vous connecte à votre smartphone lui-même connecté à la sainte puissance d’Internet.
Assurément, je force le trait. Mais ce matin, j’ai oublié ma montre, une montre-qui-donne-l’heure-et-c’est-tout. La sensation est toujours désagréable, je me suis retrouvé à regarder mon poignet nu plusieurs fois dans la journée en quête d’une aiguille indiquant l’heure, et tout ce que je voyais, c’était le rappel de mon malheureux oubli.
Ce vide que provoque une montre oubliée, extrapolé au vide que pourrait laisser une montre qui-donne-plus-que-l’heure oubliée, peut devenir assez effrayant. On nous a vendu l’Apple Watch comme un outil pour mieux se détacher de son iPhone (lire : Les premières heures de l'Apple Watch), au final, on y sera sans doute plus attaché que jamais. Certes, je suis persuadé que les smartwatchs permettent de mieux gérer le flux de notification, c’est d’ailleurs le premier intérêt que je porte à ces petits objets, mais j’avoue qu’elles m’effraient un peu. Globalement, toute forme d’informatique qui se porte me fait un peu peur et m’enthousiasme à la fois. Pourquoi en arriver là ? Nous avons déjà déplacé l’information de nos bureaux à nos poches avec les smartphones. Et maintenant, de nos poches à nos poignets.
Pourquoi sans cesse se rapprocher de l’information ? Mais ce n’est pas forcément ce rapprochement qui me dérange, c’est l’aliénation totale aux médias de l’information. Imaginez oublier votre iPhone. J’ai fait l’expérience de m’en passer pendant un mois (lire aussi : Je raccroche l’iPhone, vivre un mois sans smartphone), les premiers jours ont été plus difficiles que prévu. Avec le recul je me rends compte que j’éprouvais un manque réel, presque physique. Si quelqu’un m’avait dit ça avant que je commence mon jeûne numérique, j’aurais répondu d’un sobre « Hahahaha, non ». Et pourtant, si. Remettons les choses à leur place, je ne tremblais pas, je n’étais pas recroquevillé dans un coin en me demandant pourquoi j’avais fait ça, mais il me manquait quelque chose, un fragment de mon petit monde. Imaginez ramener ce manque à l'échelle d'une journée.
Bref, tout ça pour en revenir à l’oubli de la montre. J’ai une appréhension sur ma dépendance à la montre, que j’oublie plus facilement que mon iPhone ou mon ordinateur. J’appréhende de voir ce vide simple que j’ai ressenti ce matin en oubliant ma montre décuplé avec la présence - l’absence, dans ce cas - d’une Apple Watch au poignet. In fine, nous nous retrouvons avec un nouvel appareil à gérer, à recharger, auquel il faut apporter de l’attention. Est-ce que tout cela est bien nécessaire ?
Pour l’instant, je préfère me dire que les smartwatchs sont de bons outils pour gérer le flux de nos merveilleuses vies numériques plus facilement et plus naturellement, de manière moins intrusive. Et pourtant, il n’aura jamais été aussi intrusif.
