Avec elle, vous ne risquerez plus d’oublier pour la énième fois votre carte Vitale chez le médecin ou à la pharmacie. Elle, c’est l’application carte Vitale, une version dématérialisée disponible sur iPhone et smartphones Android. En cours d’expérimentation dans une dizaine de départements, je l’ai testée à Lyon… Non sans peine.
Dire que la carte Vitale dématérialisée était attendue est un euphémisme. Promise à l’origine pour 2021, ce n’est finalement qu’en 2024 qu’elle sera normalement généralisée dans toute la France. Comme pour la carte d’identité ou le permis de conduire dématérialisés, son déploiement se fait de manière très progressive.
Pour l’heure, cette appli carte Vitale est expérimentée dans huit départements : Alpes-Maritimes, Bas-Rhin, Loire-Atlantique, Puy-de-Dôme, Rhône, Saône-et-Loire, Sarthe et Seine-Maritime. Pour la tester, il faut avoir au moins 16 ans, être affilié à un organisme de l’Assurance Maladie, de la MSA ou de la MGEN, et disposer d’un iPhone sous iOS 12 ou d’un smartphone sous Android 7 au minimum. Remplissant toutes les conditions, j’ai sauté sur l’occasion pour la mettre à l’épreuve sur iPhone.
Activation de l’application
L’activation de l’application se fait en plus ou moins cinq étapes. Pour commencer, on lit et on accepte les conditions générales d’utilisation de l’application.
On saisit ensuite son numéro de sécurité sociale. On peut le faire soit manuellement, soit en utilisant l’appareil photo de son téléphone pour lire le numéro sur sa carte.
On entre après son adresse email et le code reçu dans la foulée à cette adresse pour valider celle-ci.
Arrive l’étape 4 où il faut valider son identité. Il n’est pas question en effet que n’importe qui puisse enregistrer votre carte sur son téléphone simplement en connaissant votre numéro de sécurité sociale.
Cette validation se fait en deux temps. Il faut d’abord présenter une pièce d’identité (carte d’identité biométrique ou non, titre de séjour ou passeport français) recto verso au système de vérification à l’aide de la caméra de son téléphone. Même dans une pièce bien éclairée ou en utilisant le flash, j’ai eu beaucoup de mal à faire accepter ma carte d’identité (celle à l’ancien format). J’ai dû répéter l’opération plusieurs fois avant que le système ne la prenne en compte.
Une fois la pièce d’identité enregistrée, il faut effectuer une procédure de reconnaissance faciale, afin de prouver que l’on est bien le propriétaire du document. La caméra avant du téléphone se met alors en route et on doit présenter son visage sans froufrou en vidéo. Là encore, j’ai rencontré des difficultés : à deux reprises le système ne m’a pas reconnu alors que je n’ai pourtant pas beaucoup changé depuis la création de ma dernière carte d’identité. C’est seulement au bout du troisième essai que mon visage a été reconnu.
Passée cette étape laborieuse, on est ensuite invité à définir un code à six chiffres qui servira à verrouiller l’application.
Une fois que le code est enregistré, l’activation n’est pas encore complète. Il faut en effet attendre qu’un opérateur humain valide le dossier. Cela peut prendre jusqu’à 48 heures, mais j’ai reçu pour ma part le feu vert au bout de deux heures.
Interrogé sur les obstacles rencontrés durant la phase d’inscription, le GIE SESAM-Vitale, qui copilote le projet global et développe l’appli carte Vitale, m’a indiqué que l’un des objectifs principaux de l’expérimentation était justement de tester et d’ajuster le parcours d’activation. D’après mon expérience, la création d’une Identité Numérique La Poste (indispensable pour utiliser le Compte personnel de formation via FranceConnect+, notamment), qui passe par un parcours similaire de vérification de pièce d’identité et de reconnaissance faciale, est plus fluide (la solution technique n’est pas la même).
À ce sujet, ne serait-il pas plus malin de s’appuyer sur une authentification forte déjà existante ? C’est l’avis de la CNIL, qui a demandé à ce que la reconnaissance faciale prenne fin dès que possible. « Conformément à la demande de la CNIL, nous sommes en cours de construction avec l’Agence nationale des titres sécurisés d’une solution alternative qui permettra d’activer son appli carte Vitale à partir de l’identité numérique d’une carte nationale d’identité électronique, sans recours à la biométrie », m'a confirmé le GIE SESAM-Vitale. Cette solution devrait passer par l’application France Identité, qui expérimente un compte certifié compatible avec FranceConnect+.
Utilisation au quotidien
Passée la phase de validation, le second contact avec l’application en bêta n’est pas plus engageant. Après un splash screen daté (logo non Retina, animation désuète), on fait face à un écran de verrouillage qui impose de saisir son code à six chiffres. La prise en charge de Face ID/Touch ID est prévue à l’avenir.
Autre petit ennui : ma photo, prise en contre-plongée, qui est tout sauf flatteuse. Cette photo a été extraite automatiquement de la vidéo de reconnaissance faciale (au pire moment) et il est impossible de la changer. La photo apparait sur l’écran de verrouillage ainsi que sur l’écran principal, au-dessus du QR code.
Ce portrait raté peut paraître anecdotique, mais il n’encourage pas à présenter l’application à d’autres, et je ne suis pas le seul à m’en plaindre. « Vous nous forcez à faire une photo pourrie, on peut pas la refaire, donc on a une tronche de déterré dessus », commente un utilisateur moins poli que moi sur l’App Store. Le GIE SESAM-Vitale m’a indiqué que c’était « un des axes d’améliorations identifiés pendant la phase pilote. »
L’application est divisée en quatre. Dans la partie « Utiliser » figurent sa photo, son nom et son numéro de sécurité sociale, ainsi que le QR code à montrer aux professionnels de santé. La section « Mes infos » donne à voir quelques renseignements supplémentaires sur soi (date de naissance, organisme de sécurité sociale…) et sur son enfant rattaché à son compte le cas échéant.
La partie « Activités » présente, elle, les reçus de dépenses de soin. Les reçus se téléchargent automatiquement en ouvrant l’application, jusqu’à 7 jours après la consultation. Passé ce délai, ils deviennent inaccessibles (mais s’ils ont été téléchargés à temps, les reçus sont consultables sans limites). Enfin, le bouton « Plus » cache les options (changement d’adresse email ou de code secret) et les informations réglementaires.
C’est donc avec cette application dans la poche que je me suis rendu à plusieurs consultations médicales au cours de ces dernières semaines à Lyon. Heureusement que j’avais gardé ma bonne vieille carte Vitale en plastique avec moi, car aucun de mes professionnels de santé habituels (médecin généraliste, dentiste et kinésithérapeute) n’était prêt pour accepter sa version dématérialisée.
Le lecteur de cartes à puce est en effet inutile avec l’application, il faut une « douchette » pour scanner son QR code, un équipement qu’aucun de mes praticiens n’a encore. Puisque l’appli carte Vitale en est au stade de l’expérimentation, cette incompatibilité matérielle n’est pas surprenante, mais les réactions des professionnels que j’ai consultés ne sont pas très encourageantes pour la suite. L’un d’eux, qui n’avait pas connaissance jusque-là de la carte dématérialisée, s’est lancé dans une diatribe contre les smartphones. Les autres, qui avaient entendu parler du projet, ont réagi plus favorablement, mais sans volonté de s’équiper rapidement.
« La mise en place risque d’être longue [chez les médecins généralistes] », estime le docteur Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, le principal syndicat de la profession. Ce n’est pas le coût de l’équipement qui pose problème — il y a même une incitation financière de 280 € pour la première feuille de soin générée via l’application —, mais le désintérêt d’une partie des médecins pour les nouvelles technologies et une période déjà chargée en nouveautés. Dans le cadre du programme Ségur du numérique en santé, les médecins sont aussi appelés à adopter le dispositif Mon espace santé, souligne le docteur Nogrette interrogé par mes soins.
Le représentant voit néanmoins le bénéfice de l’appli carte Vitale pour lui et ses pairs : les patients risquent moins d’oublier leur smartphone que leur carte vitale. D’après l’Assurance Maladie, qui a récemment lancé une campagne de sensibilisation à ce sujet, la carte est en effet oubliée lors de 6 % des rendez-vous médicaux, soit 570 000 consultations mensuelles où les démarches administratives sont plus compliquées qu’elles ne devraient l’être.
Si l’application a été boudée lors de mes consultations, il en a été autrement en pharmacie. Mon pharmacien avait déjà expérimenté la carte dématérialisée avec un autre patient, mais avec la NFC, pas le QR code. L’appli carte Vitale peut en effet s’utiliser en NFC, à condition d’avoir un smartphone Android, une plateforme où l’utilisation de cette technologie sans fil est plus libre. D’après le GIE SESAM-Vitale, des travaux sont en cours avec Apple pour porter cette fonctionnalité sur iPhone.
J’ai donc présenté mon QR code à mon pharmacien, qui a pu le scanner avec un lecteur de code-barres… et son ordinateur a renvoyé une erreur. Compte tenu de l’affluence, le pharmacien ne s’est pas lancé dans un débogage de son logiciel, j’ai sorti la carte Vitale de mon portefeuille pour débloquer rapidement la situation.
Bien que tout ne soit pas encore au point dans les pharmacies, celles-ci devraient se mettre à la page assez rapidement. D’une part, elles ont déjà l’équipement nécessaire pour la très grande majorité d’entre elles et les logiciels sont en passe d’être tous adaptés. D’autre part, selon la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF), l’appli carte Vitale est même attendue par de nombreuses officines.
« Il y a un vrai bénéfice potentiel pour l’acquisition des droits », explique Valérian Ponsinet, chargé du numérique à la FSPF. Non seulement l’application ne risque pas d’être oubliée par les patients, mais elle permet aussi aux pharmaciens d’avoir des informations toujours à jour sur ceux-ci.
Le rôle de l’application est en effet renversé : tandis que la carte porte elle-même les informations sur les droits des assurés, informations qui peuvent être obsolètes faute d’actualisation récente de la carte, l’appli carte Vitale sert uniquement de support d’identification. En scannant le QR code du patient, le pharmacien (ou tout autre professionnel de santé) prend connaissance de ses droits en temps réel grâce à un accès direct aux bases de l’Assurance Maladie — c’est le système nommé ADRi dans le milieu. En résumé, dans le cadre du tiers payant, l’application va permettre aux pharmaciens d’être payés plus facilement par l’Assurance Maladie.
À terme, l’application doit aussi permettre de déléguer son usage à une autre personne et de se connecter à d’autres services de santé. Ces fonctionnalités avancées n’arriveront qu’une fois que l’appli sera ancrée dans le quotidien des assurés et des professionnels de santé.
La carte reste Vitale
Au bout du compte, après quelques semaines d’utilisation, je n’ai toujours pas pu utiliser l’appli carte Vitale. En faisant le tour des médecins ou des pharmacies lyonnaises, j’aurais sûrement fini par trouver un professionnel « compatible », mais qui va sérieusement changer de médecin pour pouvoir utiliser une app plutôt qu’une carte ?
Il ne faut pas perdre de vue que l’appli carte Vitale est en phase d’expérimentation. Il est assez normal que tout ne fonctionne pas comme prévu et que les acteurs concernés ne soient pas tous prêts. L’app n’a d’ailleurs pas vocation à éradiquer la carte, qui va rester valable, ne serait-ce que pour le cas des personnes qui n’ont pas de smartphone. Il n’empêche qu’à quelques mois seulement de la généralisation de la carte dématérialisée à l’ensemble de la France, il reste pas mal de travail à accomplir.
L’activation doit être améliorée, sous peine de perdre du monde en route, et l’application elle-même gagnerait à être plus agréable à utiliser. En fait, c’est la pertinence même de l’appli carte Vitale qui pose question. N’y a-t-il pas une synergie possible avec France Identité, qui accueille déjà la carte d’identité et le permis de conduire ? « Des discussions sont en effet en cours pour identifier et travailler sur les liens possibles entre France Identité et l’appli carte Vitale », répond le GIE SESAM-Vitale. En attendant de voir où mènent ces discussions, je garde ma carte Vitale dans mon portefeuille.