Ironiquement, Apple a décidé de ne pas inclure la Suisse dans les premiers pays où l’Apple Watch sera commercialisée, le 24 avril. Pas vraiment un répit pour le pays de l’horlogerie de luxe, la vaste majorité des revenus de l’industrie étant réalisée à l’international, et notamment dans les pays où la toquante connectée d’Apple sera distribuée. Si on a pu entendre ici ou là des réflexions peu amènes ou condescendantes sur la volonté du constructeur de Cupertino de se lancer sur le secteur, Elmar Mock, le cofondateur de Swatch entrevoit des lendemains qui déchantent pour la Suisse.
« Apple va réussir rapidement », estime-t-il pour Bloomberg. Le créateur de l’Apple Watch va « mettre beaucoup de pression sur l’industrie horlogère traditionnelle et sur les emplois en Suisse ». Dans son ensemble, cette industrie a sous-estimé la puissance de feu d’Apple, qui pourrait s’imposer sur le marché des montres comprises entre 500 et 1 000 francs suisses : les fabricants opérant sur ce marché sont « vraiment en danger ». Mock s’attend même à un « âge de glace » pour l’industrie suisse de la montre.
Les horlogers suisses n’ont pas retenu les leçons de l’histoire : dans les années 70 et 80, l’industrie n’avait pas pris la pleine mesure de la menace des montres à quartz japonaises. Résultat : 60 000 emplois ont disparu, avant que Swatch ne relance le secteur avec ses montres de qualité pas chères. « Je vois les fabricants de montres de ce pays refaire les mêmes erreurs qu’avant », déplore Elmar Mock. « Nous avons vu beaucoup d’arrogance dans l’industrie suisse de la montre ces dernières années, jugeant les montres connectées comme des gadgets et ne pas les prendre au sérieux ».
Dans le pire des scénarios, Swatch pourrait voir ses revenus baisser de 6% d’après Barclays. Le constructeur a annoncé le lancement d’une nouvelle montre connectée dans les mois à venir (en plus d’un produit spécialement dédié au… beach-volley). Montblanc a dévoilé l’e-Strap, un boîtier à glisser sur le bracelet. Sans oublier l’initiative MMT d’Alpina et Frédérique Constant. TAG Heuer, une des marques détenues par LVMH, prépare également une montre équipée d’un GPS et d’un traqueur d’activité.
Jean-Claude Biver, patron de la division montres chez le spécialiste français du luxe, se veut moins fataliste. « Je ne dirais pas que l’Apple Watch est une menace pour l’industrie », qui malgré des moyens technologiques sans commune mesure avec les géants de l’électronique que sont Samsung, LG ou Apple, fait preuve d’un « grand dynamisme ». La Suisse a « la technologie », rebondit Mock, « et l’industrie suisse de la montre n’a pas perdu la compétition ». Il espère toutefois que les directions des entreprises du secteur réagiront avec la même promptitude que leurs produits. « Apple ne mourra pas si sa montre connectée n’est pas un succès. Mais dans les deux à trois prochaines années, une partie du marché de la montre suisse va beaucoup souffrir », prévient-il.