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En pleine pandémie, la surveillance numérique s'étend

Sabrina Fekih

lundi 06 avril 2020 à 19:30 • 47

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Dans la lutte contre le Covid-19, tous les États s'affairent. Alors que la pandémie gagne du terrain, les initiatives ayant recours à la géolocalisation et parfois d'autres données numériques se multiplient. De plus en plus de gouvernements mettent en place des applications permettant de tracer le parcours des personnes contaminées ou bien de s'assurer qu'elles restent à domicile. Mais ces solutions instaurées en période de crise peuvent se révéler dangereuses à terme.

Photo Zhang Kenny/Unsplash

Premier pays fortement touché par le coronavirus, la Chine a rapidement déployé des mesures technologiques dans le but de limiter la propagation. L'application Close Contact Detector permet de savoir si on se trouve dans un environnement propice à la propagation du virus.

Le géant de l'internet Alibaba a mis sur pied une autre application qui attribue des QR codes de différentes couleurs en fonction de l'état de santé des citoyens. Seuls ceux bénéficiant d'un code vert peuvent se déplacer librement. Pour ce qui est du reste, les codes rouges doivent rester confinés à leur domicile pour une durée de 14 jours, contre 7 jours pour les codes jaunes. Cette application fonctionne sur la base de formulaire en ligne à remplir directement par la population. Au départ lancée à Hangzhou, une des plus grandes villes du Sud de la Chine, l'application a été déployée plus largement ensuite.

Moins touché, Taïwan a pris plusieurs mesures préventives. Outre l'obligation pour les voyageurs de plusieurs pays de se mettre en quarantaine, le gouvernement local a mis en place une sorte de clôture électronique pour les personnes présentant des risques de contamination. Les signaux téléphoniques des personnes en quarantaine sont analysés pour vérifier qu'elles ne quittent pas leur domicile. Le non-respect de cette règle peut entraîner jusqu'à un million de dollars taïwanais d'amende (30 000 €).

En Corée du Sud, les images des caméras de surveillance et les données de localisation des smartphones sont exploitées pour suivre les déplacements des individus testés positifs. Leurs achats par carte de crédit sont également analysés. Souvent cité en exemple, le pays est parvenu à stabiliser sa courbe d'infection.

Récemment, en Arménie, le Parlement a permis aux autorités l'accès aux données personnelles des téléphones mobiles des citoyens. Les déplacements, les appels téléphoniques et les SMS des Arméniens infectés par le virus pourront être analysés par les forces de l'ordre.

En Australie, les décisions sont prises État par État. Par exemple, en Australie-Occidentale, le gouvernement prévoit l'installation de systèmes de vidéosurveillance aux domiciles des personnes qui ne respectent pas l'ordre reçu de confinement. Toute tentative d'endommager, d'enlever ou d'interférer avec le fonctionnement de ce dispositif de surveillance pourra entraîner un an d'emprisonnement et une amende de 12 000 dollars australiens (environ 6 750 euros).

Environ 1,5 million d'Israéliens ont téléchargé une application mobile au cours de la semaine dernière qui alerte les utilisateurs s'ils croisent le chemin d'un patient atteint par le coronavirus. Disponible en plusieurs langues, l'application HaMagen a été mise au point avec des outils open source afin qu'elle puisse être déployée dans d'autres pays.

Roskomsvoboda, une ONG russe, a publié une carte interactive répertoriant les « violations des droits numériques » dans le monde suite aux inquiétudes suscitées par la pandémie de coronavirus.

Pour sa part, la Russie utilise aussi un système de QR code. Une application permet aux habitants d'indiquer s'ils ont contracté le virus. Un QR code unique est attribué à chaque résident et doit être montré à la police en cas de contrôle. À Moscou, épicentre de l'épidémie dans le pays, la police affirme avoir constaté plusieurs violations du confinement grâce à l'utilisation de la reconnaissance faciale. La ville a également développé une application, Social Monitoring, qui demande l'accès à la localisation, à la caméra, au journal d'appel et à plusieurs autres données pour s'assurer que les malades respectent la quarantaine, rapporte The Guardian

Au Canada, à travers des messages dans les boutiques d'applications de Google et Apple, la population est invitée à télécharger l'application mobile Canada COVID-19. Développé par Santé Canada, cet outil contient des informations vérifiées et fiables sur l'épidémie au Canada, des ressources documentaires et des conseils. Un questionnaire est proposé pour déterminer s’il y a besoin de se rendre dans un centre de dépistage. Les renseignements personnels communiqués ne sont utilisés qu'à des fins liées au soutien de Santé Canada et de la province de résidence, assure l'avis de collecte. Les données ne sont pas divulguées ni conservées.

Aux États-Unis, le recours aux géants de la tech

Du côté des États-Unis, pays le plus touché par le Covid-19 à l'heure actuelle avec plus de 330 000 cas, le gouvernement a sollicité les géants de la tech afin d'analyser les données des Américains.

L'administration Trump s'est ainsi tournée, vers Apple, Facebook et Google, entre autres, pour identifier les foyers épidémiques et enrayer la propagation du virus. Un site informatif a par exemple été créé par Google, sur demande du gouvernement, afin de déterminer si un test est nécessaire. Le moteur de recherche a, pour son propre compte, utilisé les données de géolocalisation récoltées par ses services pour suivre l'évolution du taux de fréquentation de certains lieux à travers le monde.

De son côté, Facebook a mis à disposition les données de géolocalisation de ses utilisateurs à des chercheurs d'Harvard, Princeton et Johns Hopkins. Le but, proposer une carte de l’évolution du virus à travers le pays et évaluer l'efficacité des mesures de distanciation sociale.

En Europe aussi des initiatives de collecte de données voient le jour. En Pologne, les personnes placées en quarantaine ont le choix entre recevoir des visites imprévues de la police ou télécharger une application qui utilise la géolocalisation et la reconnaissance faciale. Pour veiller à ce que les personnes placées en quarantaine ne quittent pas leur domicile, un selfie est demandé à plusieurs moments de la journée. Si celui-ci n’est pas envoyé dans les 20 minutes suivant la demande, les autorités sont prévenues et peuvent dresser des amendes.

Sur demande du commissaire européen Thierry Breton, huit opérateurs du Vieux-Continent, dont Orange, partagent désormais des données de géolocalisation. Ces opérateurs partagent des données anonymisées, collectées au niveau du réseau, afin de permettre à la commission européenne de détecter les attroupements et d’anticiper le pic épidémique.

En France, le gouvernement propose désormais une attestation numérique de déplacement

En France, la mise en place d'une application collectant des données est discutée. Interrogé par Le Monde, pour Marie-Laure Denis, présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), « il faut se garder de penser qu’une application va tout résoudre même si les nouvelles technologies peuvent contribuer à une sortie sécurisée du confinement ». « Il faut privilégier les solutions qui minimisent la collecte des informations », ajoute-t-elle en proposant un « recueil d’un consentement libre et éclairé de l’utilisateur » en amont. Une réflexion d'ores et déjà conduite en Allemagne et au Royaume-Uni où les applications fonctionnent sur la base du volontariat.

D'après le journal Les Échos, les problématiques de confidentialité ont dirigé la réflexion des autorités françaises vers une application utilisant le Bluetooth et non pas les données enregistrées par les bornes relais. À l'instar de l'application « Trace Together » utilisée à Singapour, la France planche sur une application qui permettrait d’avertir toutes les personnes qui auraient croisé un individu atteint du virus.

À ce stade, le gouvernement ne tiendrait pas à imposer le téléchargement de cette application. Toutefois, sans un grand nombre d'inscrits, le principe risque de ne pas être effectif. Pour l'heure, le secrétaire d'État chargé du Numérique, Cédric O, indique attendre que « les épidémiologistes se prononcent sur la pertinence d'une telle solution.».

Bien que ces initiatives technologiques soient soutenues par des chercheurs, les décisions prises en contexte de crise peuvent à terme s'avérer dangereuses pour la vie privée des populations. Il est donc nécessaire de veiller à ce que ces mesures intrusives soient levées dès que possible, indiquent les spécialistes de la question.

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