Le week-end dernier, nos confrères de Le Parisien ont mis en avant une start-up française qui présente un smartphone un peu étonnant : il est annoncé « sans Internet » et vise les collégiens, en partant du principe qu'un smartphone est un danger, ce qui peut franchement être discuté. Et il y a de nombreuses choses à dire sur cet appareil.
Si vous vous rendez sur le site Internet dédié, vous allez probablement tiquer sur quelques points. Le premier vient des photos d'illustrations de la version encore en ligne ce matin (le site a été modifié depuis) : il s'agit d'une image d'un iPhone vaguement retouché. Les deux autres sont l'absence d'accès à Internet alors même qu'il s'agit d'un smartphone dans l'absolu, et du prix attendu, de l'ordre de 100 €. L'article de nos confrères donne quelques détails, en interviewant Maïlys Cantzler, une des personnes à l'origine de l'appareil. On peut voir un smartphone Android d'entrée de gamme assez classique, ce qui explique par ailleurs le prix annoncé.
Avant de nous intéresser au projet, il faut mettre en avant un point : considérer que le projet n'a aucun sens parce qu'un simple Nokia 3310 fait la même chose est fallacieux et biaisé. Outre le fait qu'un téléphone du début des années 2000 risque de ne plus fonctionner à assez court terme, l'ergonomie de l'époque est totalement datée par rapport à nos appareils actuels et proposer un appareil avec un clavier tactile, un écran de taille décente et une autonomie correcte1 n'est pas idiot. Pour autant, le projet The Phone n'est pas précisément la solution la plus réussie pour ce type d'usage.
Visiblement un mauvais bricolage
Nos confrères de Numerama ont pu contacter la société à l'origine de The Phone, et obtenir quelques informations sur l'appareil. C'est visiblement un simple smartphone Android en marque blanche, sous Android 11. La surcouche installée en usine est annoncée comme impossible à désinstaller — ce qui semble illusoire — et limitée à quatre applications : la téléphonie, les SMS, les réglages et les contacts. Les caractéristiques annoncées restent basiques : un 2 Go de RAM, 16 Go de stockage, une dalle en 480p (rappelez-vous l'iPhone 4) et une batterie de seulement 2 500 mAh.
La société assure que l'appareil photo sera absent mais aussi que les puces Bluetooth et Wi-Fi seront retirées pour empêcher l'accès à Internet, ce qui semble risible dans l'absolu. La première raison, c'est que la connexion à un réseau 3G — la norme annoncée — implique une connexion à Internet au niveau matériel. Ensuite parce qu'une bonne partie des systèmes sur puce d'UNISOC (une société spécialisée dans les puces d'entrée de gamme) intègrent directement le Wi-Fi, le Bluetooth et la 3G pour réduire les coûts d'intégration. C'est par ailleurs le cas dans une bonne partie des puces modernes, en dehors éventuellement des iPhone. Accessoirement, comme nous l'avons déjà indiqué, les réseaux 3G devraient rendre le téléphone rapidement obsolète.
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Un intérêt fortement limité
Outre les problèmes matériels évidents de la solution, l'absence de connexion à Internet en 2024 n'est surtout pas nécessairement souhaitable. Premièrement parce que les SMS et les appels via le réseau cellulaire sont en perte de vitesse et des solutions comme WhatsApp ou Messenger sont très utilisés. Deuxièmement, même pour un adolescent, une partie des technologies modernes ne doivent pas être vues comme dangereuses. La localisation d'un smartphone, par exemple, n'est pas nécessairement employée pour suivre à la trace une personne et peut avoir de l'intérêt en cas de soucis. Plus largement, et c'est un point mis en avant dans ce fil sur X, le harcèlement ou le phishing existe aussi par SMS et le fait d'avoir un appareil limité comme celui-ci peut être vu comme une cause possible de harcèlement, comme le fait de ne pas avoir de smartphone.
De façon plus concrète, les applications de contrôle parental des smartphones modernes offrent de nombreuses options pour obtenir le même résultat que The Phone, sans devoir passer par un appareil bridé. Bien évidemment, c'est une solution qui demande un peu d'investissement pour comprendre le fonctionnement des différentes applications et — parfois — nécessite de jouer au chat et à la souris avec les adolescents qui peuvent trouver des failles dans les systèmes de contrôle parental. Mais il est extrêmement naïf de penser qu'un smartphone chinois d'entrée de gamme vaguement modifié par une start-up offrira plus de résistance sur ce point.
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Contrairement aux idées reçues, l'autonomie d'un Nokia 3310 ou d'un téléphone de l'époque reste assez faible quand il est utilisé (que ce soit pour téléphoner ou envoyer des messages). Les données des constructeurs sont souvent plus faibles que celles d'un iPhone moderne, par exemple, mais le souvenir est biaisé étant donné que les usages des années 2000 sont bien plus légers que ceux de 2024. ↩︎