Siri était « un désastre » après le lancement fin 2011 de l'iPhone 4S, inaugurant l'assistant intelligent. Siri était « lent », quand il pouvait fonctionner, et « le logiciel était criblé de bugs très sérieux », se rappelle Richard Williamson. L'homme était alors en charge de l'assistant et d'Apple Plans, sous les ordres de Scott Forstall à l'époque1.
Cette description peu glorieuse des coulisses de Siri est dressée par le site The Information, qui relate dans un long article les difficultés et les entraves qui ont coupé les ailes du service. Ces difficultés sont la conséquence de plusieurs maux. Apple n'était tout d'abord pas préparée à encaisser le choc : au lancement, le nombre d'utilisateurs a complètement dépassé les prévisions du constructeur.
L'infrastructure, insuffisante, a eu toutes les peines du monde à remplir ses fonctions. Pendant des années, Apple n'a cessé d'investir pour muscler les capacités de ses serveurs. L'optimisation logicielle a aussi permis de résorber le trop plein de requêtes : l'article écrit ainsi qu'après un nettoyage du code, un des composants de Siri n'avait plus besoin de 500 serveurs (!) pour fonctionner, mais… 5 seulement.
Plusieurs anciens employés d'Apple ont indiqué que Richard Williamson (viré avec Scott Forstall en 2012 suite au fiasco de Plans) avait décidé que les capacités de Siri ne devaient s'améliorer qu'une fois l'an, à l'image des versions majeures d'iOS. « Complètement faux », s'insurge l'ex dirigeant. Il précise que les décisions concernant le « leadership technique du logiciel et de l'infrastructure serveur » était de la responsabilité d'autres employés plus bas dans l'échelle. Lui s'occupait de superviser les équipes.
Ci-dessous, un des premiers spots TV pour Siri en 2011, avec le père Noël en vedette :
Les problèmes de fiabilité de Siri après son lancement « reposent entièrement sur l'équipe originale de Siri, certainement pas sur moi », réplique Williamson. S'il est impossible de donner raison à l'une ou l'autre des parties sur ce point, cette controverse montre bien qu'en coulisses, le développement de Siri n'a pas été un long fleuve tranquille.
Avant que Siri ne devienne l'assistant d'iOS, c'était une application qui misait sur la modularité et l'ouverture à des services tiers pour bonifier ses services (lire : Les origines de Siri). Après l'acquisition de l'app, Apple a fermé les vannes, refermant Siri sur lui-même. Ce n'est que bien plus tard, avec iOS 10 (2016), qu'Apple autorise des applications tierces à intégrer leurs services avec l'assistant via SiriKit…
Richard Williamson a voulu pousser ses équipes à ouvrir Siri à des développeurs de l'extérieur pour améliorer les fonctions de l'assistant. Mais voilà, les résistances ont été fortes pour une raison simple : le logiciel original sur lequel s'appuyait Siri était « fragile et peu flexible ».
Pendant des années, l'infrastructure de Siri a reçu de nombreux patchs, sans être véritablement remplacée par un système plus robuste. En 2013, les ingénieurs de Topsy, un service d'analyse de tweets fraîchement acquis par Apple, n'ont pas pu travailler sur Siri en raison de cette structure faite de bric et de broc.
De ce point de vue, les choses semblent avoir évolué dans le bon sens puisque Apple a pu intégrer les technologies de VocalIQ, une autre jeune pousse achetée fin 2015.
Le développement du HomePod a été un moment visiblement difficile pour Siri. C'est vers 2011 ou 2012 que l'idée d'une enceinte connectée germe au sein d'Apple. Sans prévenir les équipes de Siri : ce n'est que début 2015 qu'elles découvrent qu'Apple a dans ses cartons un produit similaire à l'Echo d'Amazon, lancé à la fin de l'année précédente… Selon une source, la Pomme ne projetait même pas d'intégrer Siri dans son enceinte.
Beaucoup a déjà été écrit ces derniers mois et ces dernières années sur la naissance difficile de Siri. Régulièrement le voile du secret se déchire, et le lancement du HomePod — et de son Siri plus limité qu'Alexa ou Google Assistant — a remis des pièces dans la machine.
- Norman Winarsky : Siri n'est pas encore au niveau espéré
- Apple met parfois des bâtons dans les roues de Siri
- Luc Julia, l'un des pères de Siri tacle les assistants (et Scott Forstall)
- À l'heure du HomePod, Siri doit mieux travailler en équipe
Autant de pièces de puzzle qui complètent un tableau peu reluisant du fonctionnement interne de l'assistant. Et qui explique le retard pris par Apple par rapport à la concurrence. Avec Siri, la Pomme a été la première à se lancer sur le marché des assistants vocaux, mais l'entreprise s'est laissée distancer.
Apple a bien voulu donner son point de vue à The Information. L'entreprise explique avoir réalisé des « avancées significatives pour améliorer les performances de Siri, son évolutivité et sa fiabilité. Nous avons aussi appliqué les dernières techniques d'apprentissage automatique pour créer une voix plus naturelle et proposer plus de fonctions proactives » (lire : Siri apprend à apprendre sur le cloud, mais agit en local).
Tout cela n'est pas suffisant, c'est pourquoi « nous continuons à investir en profondeur dans l'apprentissage automatique et l'intelligence artificielle pour améliorer constamment la qualité des réponses fournies par Siri et étendre l'ampleur de ses connaissances ».
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Des propos vis-à-vis desquels Dag Kittlaus s'est inscrit en faux après la publication de l'article, au moins sur la partie des bugs. L'un des pères de Siri explique en effet que Siri marchait parfaitement à son lancement mais que devant le volume soudain d'utilisateurs amenés par Apple, cette nouvelle plate-forme était soumise à une charge énorme et inédite qui nécessitait un réajustement de sa capacité et une attention constante. Il n'a pas de mot assez durs non plus pour celui qu'il qualifie de « patron et architecte du lancement le plus désastreux de l'histoire d'Apple : Maps » ↩︎