« L’application Radio France est passée devant Apple Podcasts en fin d’année 2021 ! » se félicite Sibyle Veil, la présidente-directrice générale du groupe de radios publiques, dans les colonnes des Échos. Et pour cause : pour promouvoir son application, Radio France a fermé le robinet des flux publics, indexés par Apple et les applications indépendantes.
Avec 93,4 millions d’écoutes en décembre, le service public représente plus de la moitié du secteur français. Or Radio France a considérablement restreint les conditions d’écoute sur Apple Podcasts, dont le catalogue de référence est repris par les applications indépendantes comme Overcast et Pocket Casts.
La profondeur des flux dépend maintenant de la fréquence des émissions. Sur Spotify par exemple, Radio France distribue les émissions quotidiennes pendant une semaine et les émissions hebdomadaires pendant un mois, portant cette durée à trois mois pour les contenus relatifs à « la lutte contre la désinformation ».
Sur Apple Podcasts, le groupe semble laisser les émissions quotidiennes filer pendant un mois. Quoi qu’il en soit, le flux termine toujours par un clip audio invitant… à utiliser l’application Radio France ! N’espérez plus mettre quelques épisodes de côté pour plus tard, du moins pas dans Apple Podcasts ou Spotify.
Pour ne rien arranger, les épisodes paraissent souvent plusieurs heures après leur diffusion sur l’application1, parfois avec des métadonnées erronées ou des publicités mal coupées. Radio France n’a pourtant pas besoin de dégrader l’expérience des autres plateformes pour promouvoir son application.
Joliment présentée, elle propose des sélections thématiques, fait surnager des émissions moins connues, et permet évidemment d’écouter la radio en direct. En trois ans, elle s’est imposée comme une véritable plateforme du service public, qui intègre aussi les contenus d’Arte Radio et de RFI, ainsi que les podcasts de l’INA.
« Nous avons installé notre plateforme », dit d’ailleurs Sibyle Veil, qui veut reprendre « la maîtrise de la distribution » en installant un rapport de force avec le « géant international de la tech » Apple. Sauf que le podcast est un support ouvert basé sur le standard RSS, que Radio France contribue à morceler et privatiser.
Après une poignée d’acquisitions, Spotify a lancé ses propres outils de production et de monétisation, et distribue des contenus audios exclusifs. L’entreprise suédoise s’intéresse maintenant au livre audio, alors qu’Audible multiplie les annonces de « podcasts originaux ».
La publicité programmatique et la sélection algorithmique, qui ont fait les heurs et malheurs de la presse écrite, remodèlent la distribution des podcasts. Même Apple, qui a largement contribué à l’émergence du support, semble tentée d’abandonner sa position d’acteur neutre.
Si Radio France a « installé » sa plateforme, c’est qu’elle veut sa part du gâteau. En décembre, le groupe public a signé un accord de distribution et de rémunération avec la plateforme française Sybel. Laurent Frisch, directeur du numérique et de la production de Radio France, parle maintenant de « chronologie du média podcast ».
« Notre premier atout est le contenu », conclut fort justement Sibyle Veil. Le clip promotionnel inséré dans tous les flux distribués chez Apple vante « dix ans d’archives » et « un million et demi d’épisodes ». Un fond de catalogue que le service public compte bien monétiser.
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Un simple ping permet pourtant de forcer le rafraichissement immédiat du catalogue d’Apple. ↩︎